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Y-a-t-il un remède à l’incompétence ?
Odyssée, 30 octobre 2002

30 octobre 2002

Y a-t-il un remède à l’incompétence ? Le petit Robert définit l’incompétence d’une part comme 1° l’inaptitude d’une autorité publique à accomplir un acte juridique ; ensuite comme 2° l’insuffisance des connaissances ou de l’’habileté nécessaire pour juger ou accomplir une chose.
Nous avons tous autour de nous des gens incompétents, et peut-être d’ailleurs sommes-nous aussi, parfaitement incompétents dans certains domaines. Mais comment le savoir ? Eh bien, deux psychologues américains, Messieurs Dunning et Kruger ont cherché non pas à définir l’incompétence, mais à tenter d’apprécier si les personnes incompétentes étaient conscientes de l’être. Leurs observations valent leur pesant de cacahuètes.



Ils ont fait passer à des étudiants des tests de logique, de grammaire et d’humour. Il ne s’agissait pas de tester leur savoir, mais leur aptitude à résoudre des problèmes accessibles à tous. Après avoir répondu aux questions, les étudiants devaient évaluer leurs résultats dans l’absolu, mais aussi par rapport aux autres.

Les étudiants qui avaient le mieux répondu évaluaient en général correctement leurs réponses (en sous-estimant parfois un peu leurs résultats), et pensaient que tous les autres avaient aussi bien réussi qu’eux. En revanche, les étudiants qui avaient le plus mal répondu - donc, les plus incompétents - étaient non seulement persuadés d’avoir très bien réussi mais aussi d’avoir réussi mieux que les autres.

Quand les étudiants testés furent invités à corriger mutuellement leurs copies puis à réévaluer leurs propres résultats, les plus compétents ajustèrent leur estimation antérieure, tandis que les plus incompétents persistèrent à affirmer que leurs réponses étaient excellentes. Certains, même, allèrent jusqu’à dire que, finalement, ils avaient encore mieux répondu qu’ils ne le pensaient initialement !

« L’incompétence souffle des conclusions erronées, écrit Kruger, mais elle interdit également de prendre conscience de ses erreurs. » C’est cette incapacité à s’auto-évaluer correctement qui explique que certains individus parfaitement incompétents s’obstinent à raconter des histoires qui ne sont pas drôles, ou que d’autres soient absolument incapables de comprendre qu’il existe des solutions plus appropriées que les leurs à un problème donné.

Cette constatation éclaire d’un jour nouveau ce qu’on appelle le principe de Peter. Le principe de Peter veut que, dans une structure hiérarchique, la promotion vers le haut concourt toujours à mettre les individus en place à des postes pour lequel ils seront parfaitement incompétents. Les travaux de Dunning et Kruger nous l’explique : c’est l’aveuglement (et l’ambition) des incompétents qui les pousse à accepter sans réfléchir des postes qu’ils seront incapables d’assumer. Les personnes compétentes, elles, préfèrent rester à un poste qu’elles maîtrisent parfaitement et où elles font correctement leur boulot. On en déduira sans peine qu’en toute bonne logique, ce sont surtout les incompétents qui montent dans la hiérarchie et qu’un certain nombre pour ne pas dire la majorité des soi-disant élites de « La France d’en Haut » ne sont peut-être pas tout à fait à leur place.

L’incompétence peut-elle se soigner ? Dunning et Kruger pensent que oui : d’après une autre de leurs expérimentations, une formation adéquate aide les sujets incompétents à prendre conscience de leur inaptitude... et donc à progresser. Le malheur, c’est que le plus souvent, face à un incompétent, on a tendance à se taire, à fuir, ou à l’ignorer poliment. C’est un mauvais service à lui rendre : seul un autre son de cloche peut aider un incompétent à sortir de son incompétence. C’est aussi un mauvais service à nous rendre à nous mêmes : les incompétents finissent toujours par nous empêcher de travailler. Alors, la prochaine fois que vous entendrez un incompétent parler, expliquez-lui gentiment, mais fermement qu’il dit une connerie. Sinon, il pourrait devenir, mettons, ministre ou directeur de la fiction sur une chaîne publique de télévision. Et ça, ce serait dramatique.

Martin Winckler

P.S.

Journal of Personality and Social Psychology, December 1999 Vol. 77, No. 6, 1121-1134 Justin Kruger and David Dunning Department of Psychology Cornell University Unskilled and Unaware of It : How Difficulties in Recognizing One’s Own Incompetence Lead to Inflated Self- Assessments http://www.apa.org/journals/psp/psp...




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