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" Drôle d’histoire d’amour "
Un argument de téléfilm par Martin Winckler

9 juillet 2004

Ce projet avait été rédigé - après avoir été présenté oralement - et adressé à une productrice qui m’avait dit être très intéressée. Elle n’a jamais donné suite.
Tant pis. Un de ces jours, j’en ferai un roman.

L’amateur de télévision trouvera certainement des similitudes (de situation, de tonalité) entre ce projet et l’excellente mini-série britannique de Russell T. Davies, Bob & Rose. Sachez toutefois que j’ai rédigé ce projet bien avant de voir la minisérie de Davis et que, rétrospectivement, je suis heureux que mon projet n’ait pas été tourné : dans les conditions actuelles de la production télévisée française, il n’aurait en aucun cas pu soutenir la comparaison...

MW




Argument : histoire d’amour entre une femme de 45 ans et un garçon de pas tout à fait 18 ans.

Lieu et date :
Aujourd’hui, dans une grande ville, imaginaire, nommée Brennes. Le climat est doux et tempéré. Ce peut-être une ville côtière comme Nantes ou La Rochelle

Les personnages principaux :

Charly Marmont, presque 18 ans, travaille dans une librairie de quartier tenue par un vieux libraire, Moïse, qui le traite comme un fils. Charly a quitté l’école à 16 ans mais veut devenir libraire. Il est très grand, fait un peu plus vieux que son âge. Le soir, il prend des cours par correspondance pour passer son bac.

Il n’a pas de petite amie mais l’une des habituées de la librairie, Cécile, 16 ans lui tourne autour depuis quelques mois. Il accepte de prendre un café ou un sandwich avec elle le midi, sans plus. Charly a des parents, très riches (ils vivent dans un château hors de Brennes) qu’il ne voit jamais. Il va, régulièrement, rendre visite à la femme qui l’a élevé (ancienne bonne de ses parents).

Anna Palmer, 45 ans, d’origine allemande, est médecin de quartier à Brennes. Son itinéraire n’est pas moins banal : à 18 ans, alors qu’elle allait commencer médecine, elle part avec une troupe de théâtre et fait le tour du monde avec elle. Dix ans plus tard, elle revient en France, finit médecine à la faculté de Brennes et s’installe en ville dans un quartier populaire.

Elle vit seule mais a un fils de 25 ans, cadre supérieur dans une grande entreprise, et plutôt réactionnaire ; elle l’a eu jeune, avec l’un de ses compagnons de théâtre, à la fin des années 80. Chaque semaine, elle fait une consultation de planification et pratique des IVG au centre hospitalier de Brennes. Elle s’occupe souvent de défavorisés, de migrants, d’étrangers. Elle parle six ou sept langues.

L’histoire (première partie du téléfilm)

Une conseillère du centre de planification vient à la librairie déposer des dépliants et de l’info pour le centre local en prévision d’une rencontre avec le Dr Bruno Sachs, auteur d’un livre sur la contraception. La rencontre a lieu deux semaines plus tard. Cécile, qui tourne autour de Charly depuis longtemps, l’invite à sortir avec elle un soir (pour aller au cinéma) et le ramène chez elle avec une bande de copains (ses parents sont absents).

Elle boit un peu trop, s’offre à Charly, qui hésite, puis refuse gentiment et s’en va. Le lendemain, il la voit débarquer en larmes : elle a fini par passer la nuit avec un des autres garçons de la bande, mais celui-ci avait également trop bu, et ils n’ont pas pris de précaution. Elle vient demander à de l’aide à celui qui l’a toujours respectée. Charly est bien embêté, mais il se souvient des dépliants et lui en tend un. Cécile est incapable d’y aller seule, il l’emmène sur son scooter.

Au centre de planification, Charly et Cécile sont reçus par le Dr Palmer, une très belle femme, qui les accueille. Charly ne veut pas entrer, mais Cécile insiste pour qu’il l’accompagne. Anna Palmer croit que Charly et Cécile sont ensemble, et Charly ne la détrompe pas. Conversation à double sens (et quiproquo) sur la non-utilisation de préservatifs, les risques de MST, de grossesse. Anna prescrit une contraception du lendemain et propose de revoir Cécile quelques jours plus tard.

Cécile demande à Charly pourquoi il n’a pas dit qu’il n’était pas son amant, et Charly répond : " Parce que je ne suis pas sûr qu’elle m’aurait cru, et ça aurait été humiliant pour nous deux. " Il lui fait comprendre qu’il l’aime bien mais ne fera jamais l’amour avec elle. Elle n’est pas son genre de femme.
- C’est quoi ton genre de femme ? demande Cécile
Charly ne répond pas. Il pense à Anna puis secoue la tête et se dit : " T’es fou, mon vieux ! "

Anna rentre chez elle le soir. Son associé, Jacques, sonne à sa porte. Il a bu. Il est homosexuel, séparé de sa femme, et ne voit pas ses enfants autant qu’il le voudrait. Sa femme se doute qu’il est homosexuel et cherche à l’empêcher de voir ses enfants pour ça. Il est désespéré, il demande à Anna si elle ne veut pas faire un mariage blanc avec lui, pour l’aider. Anna refuse gentiment.
- Je ne comprends pas que tu vives seule. Une femme aussi belle que toi. Tu aurais pu avoir tous les hommes que tu voulais.
- J’ai eu tous les hommes que je voulais avoir. Sauf un.
- Qui ?
- Un homme que j’aurais voulu garder.
- Et ça existe un homme comme ça ?
- Peut-être, répond-elle après un long silence. (Elle pense à Charly.)

Anna et Charly pensent l’un à l’autre sans jamais se voir. Elle ne sait pas où il travaille, il rôde du côté de l’hôpital sans savoir que son cabinet médical est à quelques rues seulement de sa librairie. (On les voit tantôt se chercher des yeux, croire reconnaître l’autre dans une personne qui n’est pas lui/elle, et se croiser dans la rue sans se voir.)

Quinze jours plus tard, le jour de la rencontre avec le Dr Sachs qui vient parler de contraception, Charly et Moïse préparent la librairie. Cécile leur donne un coup de main. Le soir, il y a beaucoup de monde, le débat est animé. Charly, au fond de la pièce, entend Anna prendre la parole pour répondre à un médecin venu attaquer l’écrivain. Elle a changé de coiffure, elle n’a plus de blouse blanche, elle est belle. Pendant qu’elle parle, elle aperçoit Charly.

Après la rencontre, Anna et Charly se mettent à parler. Manifestement, ils sont très attirés l’un par l’autre, mais Anna croit toujours que Cécile et lui sont ensemble. Après la rencontre, l’écrivain, les libraires et les membres de l’association du planning local (Anna en fait partie) vont dîner ensemble. Anna s’étonne que Cécile n’accompagne pas Charly et se méprend : elle pense que Charly l’a " larguée " et elle se comporte de manière agressive avec lui.

Nouvelle discussion à double sens à table, sur les " dangers " de la sexualité pour les adolescents - et pour les adultes, c’est pire, renchérit Charly, y’a personne pour leur dire ce qu’il ne faut pas faire ! - le manque d’information, l’obscurantisme médical, etc. Anna est de plus en plus agressive, Charly prend ça pour un jeu, ils ne cessent de se lancer des piques... À la fin du repas, Charly se lève pour aller payer. Bruno Sachs remarque " Charly est un garçon très autonome, très responsable, c’est étonnant qu’il n’ait pas de petite amie ".

Moïse répond que c’est parce qu’il est très responsable, justement : il trouve les filles de son âge trop immatures, alors qu’elles tournent toutes autour de lui. Et il ajoute, " Tiens l’autre jour, la fille qui est le plus amoureuse de lui est venue pleurer dans ses bras parce qu’elle avait couché la veille avec n’importe qui. Et savez-vous ce qu’il a fait ? Il en a profité ? Non. Il l’a accompagnée chez le médecin ! "

Anna comprend que Charly est libre. Elle le laisse la raccompagner (ils habitent tous les deux dans le même quartier). Il a très envie de la prendre dans ses bras (et réciproquement) mais il ne fait rien. Elle entre dans son immeuble, se retourne, lui prend la main et l’attire vers elle dans l’ombre du couloir.

Le reste du téléfilm raconte comment Anna et Charly, devenus amants, font face aux réactions de leurs proches - le fils d’Anna, les parents de Charly (il va être amené à les revoir), Cécile, Moïse, l’équipe du centre de planification, Jacques et Geneviève (l’autre associée d’Anna), etc.

" Drôle d’histoire d’amour ", comédie romantique légère, ne serait pas dénuée de gravité. Cependant, elle ne finirait pas de manière tragique (drame, rupture, décès) pour les personnages principaux. La fin resterait " ouverte ". Et le ton serait absolument non conformiste (en tout cas, je l’espère).

(c) Martin Winckler, 2004

P.S.

Quand j’avais raconté cet argument de téléfilm à un autre producteur (il était demandeur d’idées), il m’a répondu : "Et si vous faisiez le contraire ?" (un homme de 45 ans, une fille de 18). Je lui ai répondu que ça n’était pas du tout la même histoire.... Mais pour lui, l’une "serait bien passée" dans l’esprit des responsables de chaîne, pas l’autre. Pauvre France !




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