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Mon insertion sociale et ma vie personnelle d’autiste
par Miss Titi, du réseau DÉesCAa

6 avril 2012

La vie d’un(e) adulte autiste, même sur-diplômé(e) et doté(e) d’une expérience professionnelle conséquente n’est pas exactement une allée couverte de pétales de roses...

Alors, l’immense majorité des autres, des 80% qui, en France, n’accèdent pas à l’école primaire ou à l’enseignement secondaire...

Je n’imagine même pas ! :-(




Effets sur ma famille de la pratique psychanalytique concernant l’autisme

Je suis certaine d’avoir été diagnostiquée deux fois.

Une fois enfant, une autre cette année.

Pourquoi ?

Parce que j’ai fait des tests de QI et de personnalité étant enfant et qu’ensuite Bettelheim est apparu dans la bibliothèque de la salle à manger, que j’ai été trainée chez un psychanalyste, qui m’a d’ailleurs paru totalement fou, que j’ai été fouettée, trempée dans l’eau froide, mise à l’écart de ma famille...

Tout bien comme certains « soignants » de l’autisme font et recommandent encore de le faire.

Bien sur, on m’a caché mes scores et mon diagnostic [1] et alors que j’ai, par la suite, acquis la certitude d’avoir sur-performé certaines parties et avoir totalement loupé les autres. L’information ayant « fuité » que j’avais eu un score extraordinaire à certains items et pas très bons à d’autres.

Un peu comme mon dernier test...

Sauf que là, c’est moi qui ai demandé les tests, qu’on m’a remis mes résultats en main propre et c’est moi qui décide de ce que j’en fait.

Donc, exit Bettelheim, pas question de voir un psychanalyste, non je vais faire des TCC et de la compensation de mon handicap. Sans m’illusionner sur une pseudo guérison.

Les adultes autistes passent parfois pour « guéris » par les violences psychiques et physiques qu’ils ont subis enfants... Mais personne ne guérit de l’autisme. Pas plus que les yeux de mon ami Pierre n’auraient repoussés grâce à la psychanalyse et aux mauvais traitements...

Parce que qui ne ferait semblant de remplir les bons critères pour échapper à la torture ?

Qui ne s’attraperait un magnifique syndrome de Stockholm mâtiné d’une impossibilité à refuser, par exemple, un mariage arrangé ? [2]

Je suppose donc qu’à part mon absence d’intérêt perceptible pour rencontrer de moi-même un mari convenable, mon entourage a du m’estimer « guérie »... Il leur fallait « seulement » compenser ce « détail » en me choisissant un « bon mari »...

Quelle affreuse déception, lorsque j’ai demandé le divorce. N’est ce pas ?

Donc les effets sur ma famille sont « évidents » : je n’ai plus aucune relation avec eux [3], qui ont tout fait bien comme on leur a dit de faire et qui ont eu assez de mépris de moi pour décider de ma vie de femme à ma place [4].

Je suis devenue une adulte relativement autonome malgré eux, malgré l’organisation avec leur soutien et participation de tortures physiques et morales à mon encontre. Si je n’avais pas eu une personne, mon père, pour tenter de m’expliquer les choses de façon intelligible de mon point de vue et me donner des « trucs » de compensation [5], jamais je n’aurais tenu le coup pour faire des études ou débuter ma vie professionnelle. Je serais surement une de ces malheureux qui constituent les 60% de séjour de plus de 30 jours en hôpital psychiatrique.

J’ai statistiquement de la chance d’être « seulement » au RSA et sans aucun soutien familial et pas internée à vie.

Par contre, si les méthode éducatives avaient été utilisées largement... Peut être aurais je encore une famille. Et peut être que eux penseraient que je suis quelqu’un de valeur, et non pas une pauvre débile soûlante [6]...

Effets sur ma vie personnelle

Je suis une jolie femme et je suis couramment entreprise par des hommes qui pourraient être mon fils ou mon benjamin. Je ne sais pas trop gérer la chose, notamment, parce que la société actuelle est très machiste et ne reconnaît pas réellement aux femmes la latitude de se mettre en couple durable avec un homme nettement plus jeune.

Je ne sais non plus leur expliquer de façon entendable pour eux que la jeunesse n’est pas un argument de vente avec moi. C’est le coté projet de vie commun qui m’intéresse et j’avoue que le mien déplait souvent à ce genre de trop jeunes hommes qui généralement souhaitent s’amuser un peu avant de s’installer avec une femme de leur âge ou plus jeune.

J’ai aussi du mal avec les hommes de mon âge, car ils semblent estimer que ma vie de femme est terminée, notamment sur le volet « enfant » alors qu’il n’y aucune raison à cela. Quant à les persuader du contraire, je ne suis pas la performance même à ce jeux, donc, dès que le sujet est abordé de cette façon par un partenaire potentiel, c’est : au-revoir et bonne chance.

Bref au niveau personnel, ce n’est pas terrible : je correspond pas à l’attente du marché et réciproquement.

L’attente de la société est aussi que je sois très relationnelle parce que jolie femme avec cerveau alors que je suis peu émotive, absolument pas intuitive et pas relationnelle pour un sou.

Un « p’tit mec », comme disait le premier homme de ma vie [7]. C’est souvent mal perçu, surtout finalement avec les gens de mon âge [8]. Mes amis sont majoritairement de la génération suivant la mienne, sauf les autistes.

J’ai aussi essentiellement des amis rencontrés via Internet ou des amis communs rencontrés sur Internet. Parce que ce support permet de se connaître plus facilement sans toutes les erreurs dues aux communications non verbales.

J’ai aussi une apparence « timide », pourtant je suis très loin de l’être... Comme la plupart des autistes je suis « cash » [9].

L’autisme ne me permet pas de percevoir spontanément les clichés de genre et les attendes sociales. De plus, il m’handicape encore plus qu’un homme sur le domaine relationnel car les femmes sont supposées avoir la relation dans le sang... Pire, l’autisme rend la dissimulation difficile et j’ai un tempérament « dominant » [10] alors que c’est très mal vu pour une femme.

Mon ton de voix paraît naturel, mais il se trouve que je suis moins bonne sur les expressions négatives : résultat, il m’arrive de dire avec un ton de voix enjoué et le sourire que je souffre atrocement, et personne ne me croit alors que c’est vrai.

Donc clash à répétitions, malentendus parce que mon attitude physique indique le contraire de ma personnalité et que mon physique ne correspond pas au « contenu attendu »...

Et puis, je parle trop doucement : on me dit souvent inaudible... Surtout quand je ne porte pas de bouchon d’oreilles.

Effets sur mon orientation professionnelle

J’en avais l’intuition, je ne suis pas faite pour les postes à fortes composantes relationnelles, ni d’ailleurs dans des postes où je dois m’insérer dans un réseau relationnel à forts enjeux ou avec un encadrement trop proche.

Grosso modo, je suis faite pour être dirigeante d’entreprise ou être dans un poste hors hiérarchie comme chercheuse [11] voire artiste [12].

Il est clair que le cliché de la déficience fait orienter nombre d’autistes dans des postes où ils ont 100% de chances d’échouer leur intégration professionnelle.

Moi, comme mon intelligence et ma beauté sont indéniables, ce sont vers les postes hyper relationnels que j’ai été poussée. Également une garantie pour l’échec, car, contrairement à ce que peuvent penser beaucoup de gens des autistes, il se trouve que j’ai un caractère dominant [13], ce qui amplifie mes problématiques de cécité relationnelle dans une entreprise où je serais encadrée de trop près ou avec la concurrence de collègues...

Cependant que j’ai été incapable autrefois de me défendre lorsqu’un supérieur hiérarchique qui m’a empêchée, au nom la supériorité du diplôme d’Ingénieur Grande École sur celui de Docteur [14], de finaliser mon doctorat et de partir vivre ma vie professionnelle idéale de chercheuse loin des luttes intestines qui me pourrissent la vie.

Ce qui fait que malgré des résultats académiques et professionnels impressionnants, je rencontre d’énormes difficultés parce que tous les non autistes partent de préjugés déconnants à mon propos.

Et je ne suis pas la seule dans le cas. Tous les autistes à plus du niveau master que je connais ont le problème... Tous les autres, errent de postes inadaptés en postes inadaptés car conçus par des neurotypiques à partir de leurs idées sur nous les autistes.

Le plus atroce étant bien sur les orientations par des personnes informées du diagnostic : à leurs yeux, un(e) autiste est forcément un(e) crétin(e) qui a besoin de faire uniquement des tâches claires et répétitives.

C’est malheureusement ce que l’on lit à longueur de littérature et ce qu’une majorité écrasante de gens pensent...

Une amie m’a d’ailleurs proposé de me recycler en caissière chez Décathlon au nom des efforts de cette entreprise désespérée de ne pas intégrer suffisamment de travailleurs handicapés... Un poste idéal pour les autistes et leur sous-développement intellectuel...

Ça tombe bien : je suis incapable de faire 100% des tâches de ce métier...

Mon handicap physique rend la manutention et la tenue d’une caisse impossible.

Mon handicap sensoriel va poser de gros problèmes de relation clientèle, car elles consistent essentiellement à reconnaître instantannément le genre du client et lui dire avec le sourire « Bonjour » suivi d’un mot dépendant de ce genre à savoir « Madame » ou « Monsieur » [15]...

Sauf que je met parfois plusieurs minutes à reconnaître le genre de mon interlocuteur(trice), voire à m’apercevoir de sa présence... Alors à la caisse d’un hyper marché, même spécialisé, je ne vous dit pas la queue à la caisse et l’énervement des clients...

Et puis, ce n’est pas comme si j’avais presque 20 ans d’expérience professionnelle comme Cadre et surtout obtenus 4 diplômes « bac + 5 »...

Effets sociaux et sur le budget de la Nation

La plupart des autistes français adultes sont en situation sociale difficile.

Ils constituent 60% des séjours de plus de 30 jours en hôpitaux psychiatriques alors qu’ils n’ont rien à y faire. [16]

J’ignore combien d’autistes adultes vivent dans la rue, mais je soupçonne un nombre élevé.

Combien le préjugé crée t’il de « légumes » à interner par an ? Il nait un enfant autiste sur 156 de façon certaine et environ 80% des autistes n’ont pas accès à une scolarité normale.

Je rappelle qu’ailleurs, hors de France, nous sommes 70% à suivre une scolarité normale.

Une place en internement à vie coûte 120 000€ par an. Combien aurait rapporté cette même personne si elle avait eu accès à des méthodes éducatives adaptées et aux aides de compensation de son handicap ?

Et tout ça pour quoi ?

Pour ne rien changer à des « méthodes » de traitement indignes et inefficaces ?

Pour garantir leur job sans formation qui remette en question leurs pratiques cruelles et inutiles à des « soignants » prêts à tout pour protéger leur fromage ?

J’affirme que ce qui m’a sauvé de la ruine mentale, c’est d’avoir eu des explications objectives sur le rôle social de l’école, sur comment obtenir un calme relatif de la part des neurotypiques, sur la théorie de l’esprit, sur les méthodes à mettre en œuvre pour adapter ma notion du temps à celle des neurotypiques.

De leur coté, la psychanalyse n’a fait que m’ôter toute confiance en les adultes, la torture physique m’a légumisée et elles m’ont rendu anxieuse et plus facilement orientable vers un mariage arrangé et des choix de carrière totalement inappropriés pour moi mais rassurants pour les neurotypiques.

J’ai tout bien fait semblant de rentrer dans les critères demandés mais, d’un autre coté, cela ne change rien du tout à mes difficultés.

Je suis au RSA, si j’avais eu la rééducation adaptée, peut être me serais je mieux défendue et serais je toujours en poste suite au déclenchement de mon handicap physique ?

Peut être aurais je réussi à convaincre, plus jeune, que mon seul désir de carrière c’est la recherche et donc le doctorat ?

J’ai coûté combien à éduquer ?

J’ai fait les CPGE, une Grande École publique, j’étais boursière au maximum des « échelons »... Rien qu’en formation initiale, j’ai coûté très cher à la France.

Je coute combien, maintenant, à attendre que les procédures administratives arrivent à leur fins pour bénéficier enfin des soins et des méthodes de compensation de mon handicap que j’aurais du recevoir avant mes 4 ans ?

J’ai une grand admiration pour Vernon L. Smith : il est prix Nobel d’économie et il est autiste. Il est américain.

Combien de Vernon L. Smith français végètent-ils dans la mendicité et l’assistanat afin de ne surtout rien changer aux méthode de prises en charge des autistes tant dans leur enfance qu’à l’âge adulte ?

Les enfants autistes sont victimes de prises en charges dépassées depuis des dizaines d’années. Les adultes, eux, sont totalement abandonnés à leur sort sans que les autorités s’intéressent un instant à eux autrement que comme « force d’appoint » pour suppléer à la prise en charge déficiente des enfants. Un comble !

D’ailleurs, l’HAS a fait à ce propos une recommandation hallucinante dans son rapport du 8 mars 2012 :

Il est recommandé de faciliter l’écoute et le soutien des parents et de leur proposer différentes modalités d’appui. Ces modalités sont à proposer à tous les parents, mais ne leur sont en aucun cas imposées. Elles doivent être présentées comme une offre possible, parmi lesquelles :

[...]

un contact avec les associations de parents et de personnes avec TED, susceptibles d’apporter, tant aux parents qu’à leur enfant, conseils, appui, soutien, témoignages et recul par rapport aux situations vécues et au chemin parcouru ; par exemple, les échanges entre l’enfant/adolescent et des adultes avec syndrome d’Asperger ou autisme de haut niveau de fonctionnement sont susceptibles de permettre à l’enfant/adolescent de découvrir les perspectives qui s’offrent à lui et de construire son avenir, sans masquer les difficultés rencontrées dans la vie quotidienne ;

Certes c’est un progrès en ce qu’elle admet « quelque part » qu’on ne guérit pas de l’autisme et que les adultes avec autisme existent, alors que précédemment nous étions supposés soit « guéris » soit internés.

Mais je m’associe totalement à la réponse qu’y a fait un autiste dans le cadre de l’opération « allez on met le paquet » :

Opération « Mettre le paquet » - Version autiste asperger adulte
Ceci est l’oeuvre de Benoit qui est diplômé d’une encore plus Grande École que la mienne. Avec son aimable autorisation.

Le monde du travail français exige, même dans les postes les plus anodins, des « excellents relationnel et sens de la communication » à longueur de description de poste... Même lorsque c’est sans rapport avec la fonction.

Donc un adulte autiste français, c’est bien souvent un chomeur qui ère dans le labyrinthe des orientations délirantes qui ne le conduisent qu’à des impasses professionnelles.

S’il n’a pas de famille pour l’entretenir, c’est aussi majoritairement quelqu’un qui vit largement sous le seuil de pauvreté.

Par Réseau DÉesCAa du réseau DÉesCAa

P.S.

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La suite de mon témoignage sur mon autisme vu de l’intérieur : dans 1 semaine !
Les effets de l’autisme sur ma personnalité


[1c’est encore monnaie courante de nos jour, même vis à vis des parents

[2en France, entre français, c’est tout à fait possible, surtout avec une jeune fille autiste

[3je n’inclue pas mon père dedans, car il n’avait plus la main lorsque c’est arrivé, mes parents avaient divorcé, et qu’il s’est excusé avant sa mort d’avoir participé au démarrage du « traitement », tout en essayant de m’aider au maximum à comprendre le monde social et relationnel autours de moi

[4sans compter leurs récents efforts pour m’orienter vers des « postes adaptés pour moi » :

  • l’informatique où je n’ai absolument aucune compétence et aucun intérêt donc aucune compétence
  • et l’administration où je suis totalement inadaptée au mode d’organisation, alors que j’ai déjà du mal à remplir mes propres dossiers, puisque je n’y comprend strictement rien

[5comme de fixer entre les yeux pour faire croire qu’on les voit afin qu’ils restent calmes...

[6et mes scores académiques impressionnants n’ont aucune influence sur ce jugement

[7pas mon ex-mari, mais mon premier Amour

[8pourtant, jeunes nous étions sensés avoir les mêmes idéaux que les jeunes de maintenant !

[9c’est le moins qu’on puisse dire

[10ce n’est pas moi, c’est le MMPI qui le dit

[11où ce sont les publications qui comptent pas le relationnel et l’avis du chef

[12si j’avais eu le moindre talent

[13ce qui n’est bien sûr pas le cas de tous les autistes

[14une idée totalement inconcevable pour les autistes !

[15heureusement que « Mademoiselle » vient d’être supprimé !

[16On se croirait à l’époque des hospices-prisons pour aveugles ou sourds.




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