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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)
Les médecins, les patients, et tout ce qui s’ensuit... > Soignants en formation, soignants en souffrance >


"The Times Are Not A-Changin’ " (1)
En France, dans les facultés de médecine, toute critique ouverte de la formation médicale est interdite.
Article du 3 juin 2007



Depuis la rentrée 2005, j’assurais quelques heures d’enseignement à Paris V (Necker) dans le cadre du département de médecine générale : enseignements dirigés sur la relation, le patient difficile, l’annonce de la mauvaise nouvelle (Lire un article sur ce sujet), la demande ambiguë, et un module sur l’image du médecin à l’écran (avec projection de films et de séries télé) à une vingtaine d’étudiants.

Pendant l’année 2006, j’ai été conseiller technique d’un documentaire tourné pour ARTE par Marie Agostini au sujet des études de médecine. (Lire un article décrivant ce projet).

Il y a quelques mois, j’ai répondu à une interview de la revue Vie Universitaire sur la formation des médecins. Je n’y disais rien que je n’avais déjà dit à la radio, à des quotidiens, dans mes romans et mes essais, dans des débats publics, et ce depuis 1998.
(...)


(1) "Les temps ne changent pas". Allusion ironique à une chanson de Bob Dylan, "The Times They Are A-Changin’".




Vie Universitaire - Pourquoi avez vous un regard si critique sur l’enseignement de la médecine ?

Martin WINCKLER - Parce qu’il est critiquable. Cet enseignement est confisqué, détenu, par des médecins hospitaliers, hyperspécialisés, qui ne savent rien de ce qu’est la réalité du soin en France. Dans une fac de médecine on forme en moyenne plus de médecins généralistes que de spécialistes. Or pour former ces étudiants il y aura quatre vingt dix neuf spécialistes pour un généraliste.

Les médecins de premier recours sont formés par des gens qui ignorent tout des besoins de la population. Ils ne connaissent pas les problèmes réels des gens, ni la réalité de la vie à l’extérieur de l’hôpital. Ils ne voient que des maladies rares, ou des patients en grande difficulté, et détiennent pourtant les clés de l’enseignement. De plus, l’enseignement de la médecine en France est un enseignement dont les modalités sont archaïques. Elles remontent pratiquement aux années 50, pour ne pas dire à la fin du XIXe siècle, puisque l’enseignement de la médecine n’a pas beaucoup changé entre 1890 et 1955.

Ce phénomène est amplifié par la technologie galopante, qui encourage la vanité la morgue des hospitalo-universitaire et leur sentiment de supériorité. Ils ne pensent plus que par la technologie. Prenons un exemple : en France il y a environs trente deux millions de femmes dont quinze ou vingt millions en âge de procréer. Leur problème principal n’est pas d’être enceinte mais de ne pas l’être n’importe quand.

C’est une vraie question de santé publique. Mais la contraception n’est pas enseignée, dans les universités, alors que l’on passe des heures et des heures à parler de grossesses pathologiques, de fécondation in vitro et de procréation médicalement assisté. Pourquoi ? Parce que c’est valorisant pour les médecins. Ils peuvent se vanter d’avoir permis de faire des enfants à des femmes qui ne pouvaient plus en avoir, c’est à dire à 3% de la population.

Mais les femmes à la recherche de méthodes de contraceptions ou qui doivent recourir à l’IVG ou garder par-devers elles des grossesses non désirées, ça n’intéresse pas grand-monde dans les facs de médecine. Ce seul exemple, qui concerne tout de même 50% de la population française est représentatif de tout le reste.

VU - Selon vous le système médical ne parvient pas à se réformer.

Martin WINCKLER - Il n’y arrive pas parce que c’est un système archaïque dans lequel la carrière hospitalo-universitaire obéit à un système pyramidal, un système de castes. Nous sommes le seul pays au monde dans lequel les grands patrons de médecine sont nommés à vie.

Ailleurs, ils sont nommés chef de service deux à quatre ans, ils s’occupent de l’administration pendant que les autres font de la médecine et ils n’ont qu’une hâte, c’est de retourner faire de la médecine. En France les grands patrons sont à la fois responsables des soins, de l’enseignement et de la recherche. Ils deviennent des potentats, souvent sous l’influence de l’industrie pharmaceutique car il n’y a pas d’argent dans les services.

La France n’a pas de politique de santé publique, on ne finance rien, on laisse les gens se débrouiller et évidemment c’est l’industrie qui va financer le voyage, la conférence, la machine à photocopie... Le corps médical est massivement sous influence, et ses membres, qui se comportent comme de petits marquis, professent souvent des bêtises. C’est pour cela que je parle de féodalité. J’ai écrit un roman qui s’appelle Les trois médecins qui parle de mes études de médecine il y a trente ans.

J’y ai transposé « Les trois mousquetaires » dans une fac de médecine (le doyen est Louis XIII, le vice-doyen est Richelieu, etc.). Si la transposition est réussie c’est parce que les facultés de médecine sont structurées comme la France de Louis XIII, les rapports de force et de hiérarchie sont les même. Des étudiants m’écrivent aujourd’hui et me disent que rien n’a changé. Je travaille d’ailleurs comme consultant sur un documentaire de dix fois vingt cinq minutes pour Arte qui s’appelle L’école de médecine.

La cinéaste Marie Agostini a filmé pendant un an des étudiant de Paris V pour montrer ce que sont les études de médecine : on y voit les rapports de force permanents, le mépris pour les étudiants et pour les patients, la désinvolture extraordinaire des mandarins d’aujourd’hui, les professeurs qui insultent les étudiants... [1]

VU- Alors, comment pourrait-on le changer ?

Martin WINCKLER - Je ne sais pas si on peut faire changer une structure aussi archaïque. La solution serait de donner la possibilité à des facultés qui veulent fonctionner autrement de le faire facilement, sans avoir de comptes à rendre, sans se faire bloquer par des contraintes administratives, qu’elles viennent du ministère de la Santé ou de l’Education Nationale.

Il y a des facs dans lesquels les doyens ont envie de changement. Le seul moyen de modifier l’enseignement médical serait de laisser à celles qui ont envie de le changer la possibilité de le faire. Il faudrait aussi donner aux étudiants un droit de regard sur l’enseignement. Aux Etats-Unis, quand un médecin praticien a un étudiant en formation, à la fin du stage, le médecin praticien note l’étudiant, mais l’étudiant note aussi le médecin.

Aux Pays-Bas, les étudiants ont un droit de véto sur les professeurs qu’on engage. Ils ont leur mot à dire sur la façon dont on leur délivre l’enseignement et quand quelqu’un dans un stage les méprise ou ne se comporte pas de manière éthique avec ses patients, il perd ses étudiants et n’a plus de financement... Bref, il faut que la hiérarchie disparaisse.
En 1999, Juppé avait proposé que les services hospitaliers universitaires fonctionnent comme des départements, de manière collégiale et que les patrons des services soient nommés pour un an ou deux par leurs pairs, puis tournent.

Tous les patrons hospitaliers ont poussé des hauts cris en prétendant qu’ils ne pourraient plus soigner les patients... Car ce qui les intéresse, c’est surtout le pouvoir. Tant que les patrons des centres hospitaliers seront des hommes de pouvoir, ça ne changera pas. Leur attitude est celle d’une caste de nantis qui ne se préoccupent absolument pas de savoir si ils forment des étudiants pour soigner et s’occuper du bien être de la population, ou pour reproduire une profession dans laquelle on est incité à choisir la spécialité la plus lucrative.

S’il n’est pas possible de casser cette institution, on pourrait au moins donner de la place à des expériences nouvelles. Quand j’étais étudiant, nous militions pour que le médecin généraliste soit libéré du payement à l’acte et puisse avoir une activité salariée ou semi salariée dans des structures associatives qui lui permette de travailler dans de bonnes conditions.

Aujourd’hui, ce n’est pas possible, la structure de la sécurité sociale n’autorise pas cela. On ne permet pas à des gens de bonne volonté de mener des expériences nouvelles. Si c’était possible, cela donnerait d’autres modèles, d’autres exemples. Or, à l’heure actuelle, le seul modèle d’enseignement et de comportement médical est le système hospitalo-universitaire...

VU - Vous êtes aussi très critique sur la corporation même des médecins.

Martin WINCKLER- Ce sont les médecins qui déterminent la manière dont on organise l’enseignement. Il existe un véritable lobby qui n’a aucun intérêt à ce que les médecins français de base, les généralistes, soient correctement formés.

Des études ont été menées dans plusieurs pays, et l’on sait que mieux un médecin est formé, moins il a recours aux examens complémentaires (radio, biologie, etc.) qui sont souvent pour lui, un moyen de se rassurer. Or la catégorie de médecins qui fait le plus de revenus sont les radiologues et les biologistes qui dirigent les laboratoires d’analyses.

Si les médecins étaient mieux formés, la consommation d’examens complémentaires serait probablement réduite au moins du tiers ; la prescription de médicaments baisserait elle aussi, car l’immense majorité des médicaments qui sont prescrits en France ne servent à rien ; pareil pour les consultations spécialisées.

Or, les spécialistes n’ont pas intérêt à ce que les généralistes français soient bien formés, et sachent, comme les médecins des pays en développement, faire beaucoup avec très peu. L’industrie et les laboratoires pharmaceutiques non plus n’y ont pas intérêt. Ils ont intérêt à ce que les médecins français soient ignorants, angoissés, culpabilisés... et prescrivent beaucoup.

VU - C’est un regard bien pessimiste.

Martin WINCKLER-Mais je ne suis pas le seul à dire cela. Lisez les livres de Christian Lehmann et Philippe Pignarre, ils expliquent très bien comment l’industrie noyaute la médecine en France. Près de 90% des textes médicaux publiés en France sont financés par l’industrie, il n’y a qu’une seule seule revue indépendante dans ce pays, c’est la revue Prescrire.

Evidemment si vous allez voir un grand patron hospitalier, il va vous dire que tout va bien et que tout est fait pour le bien des patients. Mais tout cela est faux. Les pays en développement nous apprennent que l’on peut faire beaucoup de choses avec peu de moyens, à condition de bien évaluer les besoins, de distinguer ce qui est vital de ce qui ne l’est pas et de savoir bien utiliser la liste des deux cents médicaments essentiels de l’OMS, par exemple.

Il y a deux cents médicaments essentiels, alors qu’en France on commercialise quelque chose comme quinze mille marques ! Mais aucune fac de médecine ne fait de cours sur les deux cents médicament essentiels...

Vie Universitaire, mars 2007


Un dossier accablant

Après avoir relu cette interview, j’en maintiens chaque mot , évidemment.
Je précise par ailleurs qu’elle faisait partie d’un dossier intitulé « L’enseignement de la médecine, ou la réforme introuvable. ». Dans l’article introductif, on peut lire (sous la plume de l’auteur du dossier), les phrases suivantes :
« Cette vision [pessimiste] n’e semble pas être l’apanage de [Martin Winckler]. Outre les innombrables forums témoignant massivement du besoin de réformes, certaines facultés ont amorcé un tournant en ayant recours aux TICE [2] et semblent vouloir, au moins pour ce qui concerne la pédagogie, repenser leur cursus.
Un tournant d’autant plus facile à prendre que le statut des enseignants de médecine, découlant des ordonnances de 1958, créé un statut de bi-appartenance, c’est-à-dire conférant aux enseignants-chercheurs une tripe mission d’enseignement, de recherche et de soin, co-partagé entre l’hôpital et l’université.
Mais il reste que les clés d’une véritable réforme de l’enseignement de la médecine sont entre les mains des chefs de clinique, puisque les pouvoirs publics ne semblent pas pressés de revenir sur un mode de fonctionnement qui n’a pas bougé depuis au moins cinquante ans [3] De là à penser qu’il ne bougera pas pour les cinquante prochaines années, il n’y a qu’un pas que les pessimistes franchiront.


Des conséquences... pas très surprenantes.

Le 3 juin 2007, une semaine après la diffusion du documentaire de Marie Agostini et plusieurs mois après la publication de l’interview dans Vie Universitaire, je reçois le mail suivant d’un de mes collègues généralistes enseignants de Paris V.

Cher Marc,
Suite à ton interview dans une revue universitaire le conseil de fac a refusé ta nomination en tant qu’attaché d’enseignement que nous avions demandée et la commission de pédagogie n’a pas renouvelé ton module optionnel.
Si sur le fond (surtout après avoir vu le documentaire) les membres du département te soutiennent il n’a pas été possible de le faire sur la forme ... Le doyen a envoyé personnellement [au chef du département] l’article après lui avoir téléphoné en disant que les propos étaient diffamants...La présidente de la commission de pédagogie est prête à te recevoir si tu le désires....

JJe lui ai répondu ceci :

Cher ami

Je suis évidemment désolé qu’on me refuse une nomination à un poste qui est l’un des plus modestes alors que

1° je crois avoir montré que j’assurais un enseignement solide

2° Je ne crois pas avoir diffamé qui que ce soit nommément mais simplement avoir exprimé mon point de vue sur l’enseignement de la médecine en général... Et pas spécialement à Paris V.

3° on n’a pas demandé à m’entendre puisque c’est toi qui me préviens... Si le Doyen avait des choses à me dire, il a omis de le faire... A-t-il vu le documentaire ? C’est peut-être cela qui le gêne, plutôt que les déclarations faites dans cette revue confidentielle, déclarations que j’avais déjà faites maintes fois dans des livres, des revues, des romans, des quotidiens, à la radio et même à la télévision les rares fois où on m’a demandé de m’exprimer à ce sujet. Si tel est le cas, je pense que le documentaire a largement atteint ses objectifs, et je considère ce refus de me réembaucher comme une preuve de succès.

Je suis désolé, mais à vrai dire, je ne suis pas surpris. Cette "décision" en dit long sur la possibilité d’exprimer des critiques dans notre pays. Et ce n’est pas spécifique aux facs de médecine.
J’en ai déjà fait plusieurs fois l’expérience, comme tu le sais.

J’ai assuré l’enseignement que [les membres du département de MG de Necker] m’ont confié avec plaisir, et avec enthousiasme pour le travail que vous faites.

Mais je n’irai pas me battre contre ces moulins à vent universitaires qui ne respectent pas la liberté d’expression des individus en général (et des généralistes en particulier), car je ne tiens pas à vous mettre en porte-à-faux par rapport à ça. Vous avez des soucis plus urgents à régler que ma situation somme toute anecdotique.

Je n’irai donc pas quémander quoi que ce soit à qui que ce soit.

Je te remercie (je vous remercie tous) de l’amitié et de la confiance que toi, et tes camarades et collègues avez bien voulu me témoigner.

Longue vie au département de médecine générale. J’espère que la MG pourra malgré les difficultés se développer encore dans les facultés de médecine française. Si elle le fait, ce sera grâce à vous, envers et contre qui tu sais.

Amitiés à toutes et à tous (tu peux faire circuler ce message, bien sûr)
Marc Zaffran


Dans le dossier de Vie Universitaire où j’étais interviewé, Bernard Charpentier, président de la conférence des doyens de facultés de médecine déclare, à mon sujet :
« C’est un polémiste, tout le monde l’a entendu à la radio. Dans tous les métiers il y a des polémistes, heureusement, cela fait avancer le débat. »

Peut-être, mais, manifestement, la polémique n’est pas possible dans les facultés de médecine françaises.

Dans ce pays, quand on travaille dans une institution, il est interdit de la critiquer.
Après France Inter (2003), Paris V (2007)...
In France, The Times are Not A-Changin’.

Marc Zaffran/Martin Winckler


[1Note : Le lecteur curieux de vérifier mes dires n’aura aucun mal à le faire...

[2Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement

[3C’est moi qui souligne - M.W.

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