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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)
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Un soir aux Urgences, en France, en 2005...
par Sophie
Article du 22 août 2005

Hier soir à neuf heures : Nous nous apprêtons à passer à table lorsque Lucille dérape sur un jouet qui traîne par terre. Le bruit de sa tête cognant sur le carrelage nous fait tout lâcher. Elle a tapé sur l’arrière du crâne mais très vite elle se plaint de l’oeil gauche et du front. Nous l’allogeons sur le canapé et la calmons tout en guettant d’éventuels signe de traumatisme. Quelques minutes plus tard, alors qu’elle se plaint toujours de la tête et de l’oeil, elle se met à vomir. J’appelle aussitôt le médecin de garde qui n’est en fait pas de garde et qui n’est pas là puis je compose le 15.

Le 15, le 15 août, c’est pas la panique au standard mais bon, je finis par avoir quelqu’un qui me dit de filer aux urgences les plus proches.
Là où nous vivons, l’hôpital le plus proche, et pour cause puisqu’il est le seul, est à 25 kilomètres. Nous embarquons notre fillette en voiture après avoir pris la carte vitale, la carte de mutuelle et le carnet de santé.

Il y a quatre ans nous l’y avions déjà conduite en pleine nuit d’été ( la saison est importante car la population est multipliée par 10 durant les vacances dans nos contrées) avec plus de 41 de fièvre et de gros délires. Nous avions dû renoncer car la salle d’attente était si bondée que nous avions jugé que notre fille serait plus en sécurité chez elle.

Hier soir donc, sur le chemin de l’hôpital, j’angoisse à l’idée de la foule qui se trouve certainement aux urgences ; j’angoisse parce que j’ai peur que ma fille ait quelque chose de grave à la tête parce qu’elle vomit à nouveau et j’angoisse parce que je sais que je ne suis pas sûre qu’à notre arrivée elle sera bien prise en charge.

Devant nous, une maman fait enregistrer son petit garçon qui lui aussi est tombé sur la tête et a vomi. Il est somnolent, elle reste calme mais je ressens son angoisse.

Une fois l’accident raconté et les formalités remplies, le réceptionniste nous dit qu’il faudra patienter une heure parce qu’il y a deux médecins pour tout l’hôpital. Je lui demande alors s’il y a une marche à suivre, quelque chose à faire ou ne pas faire à Lucille pendant notre attente. Ce à quoi il me répond sur le même ton neutre que jusqu’à présent : « je ne peux donner aucun renseignement, je suis standardiste. »

Nous nous dirigeons donc vers la salle d’attente où il reste quelques sièges libres.
Une heure d’attente, ça va. Lucille n’a pas l’air d’aller trop mal. Elle est calme, nous lui parlons en lui faisant des câlins tout comme fait la maman du petit garçon tombé.

Pendant ce temps-là, je m’interroge : Comment se fait-il qu’à l’accueil des urgences, il n’y ait aucun soignant qui supervise les entrées, qui puisse diagnostiquer, ne serait-ce que sommairement, ce qui peut attendre et ce qui peut-être ne le peut pas ?
Comment se fait-il que le standardiste en faction soit le seul interlocuteur face à des parents, amis, peu importe... qui arrivent, souvent paniqués ?

Je ne comprends pas. Je me dis que ce n’est pas possible, que des gens doivent leur claquer entre les doigts dans la salle d’attente. On ne m’a pas demandé si Lucille avait un comportement bizarre, si elle avait perdu connaissance, si ses pupilles avaient changé d’aspect. Moi, je sais que ce sont des symptômes inquiétants, je les ai surveillés. Mais si je ne les avais pas connus, qui aurait pu établir la gravité de l’état de ma fille ? En ce moment, de nombreux étrangers sont ici. Comment font-ils aux urgences pour expliquer ce qui leur est arrivé ?

Pendant que nous attendons, les pompiers ne cessent d’amener des gens. La salle d’attente ne désemplit pas et les gens qui arrivent par leurs propres moyens tout comme nous, attendent à présent dans le couloir.

Après une heure d’attente, un monsieur qui commence certainement à s’impatienter (qui sait depuis combien de temps il est là ?) part aux nouvelles. Il revient nous annoncer que le délai d’attente est à présent de deux heures et demi et qu’il n’y a à présent plus qu’un médecin.

Nous décidons de partir. Je préviens le standardiste qui me dit simplement : « Rappelez le médecin de garde en rentrant. »

J’ai rappelé le 15 en rentrant et l’on m’a passé un médecin. Il m’a rassuré, décrit la conduite à tenir. J’ai senti qu’il était étonné par le fait qu’aux urgences, nous n’avions pu parler à personne. De toute façon, m’a-t-il dit, il n’y a que le scanner pour diagnostiquer une hémorragie interne.

J’ai passé la nuit à côté de Lucille. Je l’ai réveillée toutes les deux heures.
Ce matin, elle s’est réveillé en pleine forme ; elle avait faim et envie de jouer aux devinettes. J’étais plus heureuse que d’habitude de jouer aux devinettes. N’empêche que depuis cette nuit, je me dis que, décidément, la vie ne tient pas à grand-chose, que si parfois, on n’ a fait que frôler la catastrophe, ce n’est pas grâce à notre bon vieux système de santé.

Le fait d’être accueilli aux urgences par un agent administratif imperturbable, à qui je ne jette même pas la pierre, donne, je pense, une idée assez exacte du peu de considération que nos gouvernements successifs accordent à la population.
Un numéro de sécu, une date de naissance.

J’ignore comment ça se passe dans d’autres villes, d’autres services d’urgences. J’ignore tout autant de qui dépend l’organisation d’un centre hospitalier.
Il n’y a plus de médecins, il n’y a plus d’argent pour la santé... c’est la faute de personne. Mais moi, je m’en fous.
Ce que je sais, c’est qu’à présent, il faut s’habituer à ne plus compter que sur sa bonne étoile et espérer avoir besoin d’eux le moins souvent possible.

Sophie

(Note : Cette histoire se passe en Ardèche. Elle pourrait se passer n’importe où en France. MW)

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