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Quand l’éducation nationale fabrique des handicapés…
par Salomé Viviana
Article du 5 juin 2005

Il n’y a pas que dans les hôpitaux qu’on fabrique des malades. L’éducation nationale le fait aussi, comme vous en jugerez dans l’histoire suivante, contée par Salomé Viviana, notre juriste émérite.

MW

Clara est une petite vietnamienne adoptée à l’âge de 4 ans. A son arrivée en France, elle ne parle pas un mot de français et, comme la plupart des enfants adoptés, est très angoissée par l’abandon qu’elle a vécu et les nouvelles conditions de vie auxquelles elle doit s’adapter. Ses parents l’inscrivent à l’école maternelle, en moyenne section, avec les autres enfants de son âge. Elle n’y passera que peu de temps du fait de son arrivée en cours d’année scolaire et continuera en grande section comme les autres enfants.

Ses parents, qui commencent à bien la connaître, voient, avec l’institutrice, que Clara a du mal à suivre, ce qui ne les surprend guère étant donné qu’elle doit déjà apprendre la langue et une culture nouvelle pour elle. Pour être rassurés, ils lui font faire un bilan chez une psychomotricienne puis chez un pédopsychiatre qui ne détectent rien de particulier, si ce n’est que leur fille a globalement un retard de développement dû à ce qu’elle a été très peu stimulée pendant les 4 années passées en institution avant d’être adoptée.

La fin de l’année scolaire arrive et Clara a de grosses lacunes dans l’acquisition des bases nécessaires à la lecture et l’écriture. Par ailleurs, elle a encore besoin d’être rassurée pour gagner confiance en elle. Ses parents, l’institutrice, la psychomotricienne et le pédopsychiatre sont tous d’avis de la faire redoubler pour lui permettre de combler ses lacunes et avoir de solides bases pour la suite de sa scolarité, qu’ils envisagent avec sérénité.

L’histoire aurait pu – aurait dû s’arrêter là : Clara redouble la grande section de maternelle, gagne de l’assurance et s’épanouit, certes avec un an de décalage sur sa classe d’âge mais c’est sans importance. Seulement, c’était sans compter sur la modernité des idées pédagogiques de l’inspecteur d’académie, ni sur la couardise des enseignants de l’école maternelle.

L’inspecteur a un principe : faire redoubler les enfants le moins possible (déclinaison à son niveau de l’objectif national qui consiste à vouloir amener le maximum d’enfants au baccalauréat), et des statistiques à remplir. Mais il confond le fait qu’un enfant ne puisse pas redoubler plus d’une classe par cycle (la grande section, le CP et le CE1 constituent un cycle) avec le fait que cette classe redoublée doit nécessairement être la dernière du cycle en question.

Et les instituteurs ont peur : peur des inspections qui retentissent sur leur carrière, peur de décevoir l’inspecteur, peur de ne pas savoir s’occuper d’un enfant qui n’entre pas dans le moule habituel, peur qu’on leur reproche un éventuel échec. Alors, ils n’osent pas proposer simplement de redoublement. Et puis, il y a les nouvelles méthodes auxquelles l’inspecteur tient tant ; alors, pour lui faire plaisir et l’aider à remplir ses objectifs en termes statistiques, les enseignants vont expliquer aux parents de Clara que leur fille va redoubler mais qu’elle a, en plus, besoin d’une aide particulière. Selon eux, il faut prévoir un plan d’intégration.

Les parents sont sceptiques quant à l’utilité d’un tel plan, mais l’essentiel, à leurs yeux, est que leur fille redouble ; alors si ça rassure les instituteurs…

Ce que les parents de Clara ne savent pas, c’est que les plans d’intégration sont réservés aux enfants handicapés ou qui ont des problèmes de santé, ce qui n’est absolument pas le cas de leur fille. Ce qu’ils découvrent également, c’est que ce plan doit être avalisé par une commission de circonscription, présidée par un inspecteur d’académie et dans laquelle siègent des enseignants et des représentants des parents d’élèves. Simple formalité, se disent-ils, même s’ils sont surpris par le fait que le contenu du plan n’a toujours pas été défini. Ils comprendront pourquoi lorsqu’ils s’apercevront que ces plans ont pour but d’apporter une assistance aux enfants handicapés et de leur permettre de concilier les soins et aides dont ils doivent bénéficier avec les horaires, contenus et méthodes d’enseignement.

Soucieux d’aider au mieux leur enfant, les parents prennent le soin de transmettre à la commission les bilans psychiatrique et psychomoteur concernant leur fille. Qui les lira ? Uniquement le médecin scolaire qui présentera un résumé succinct de ce qu’il a retenu aux membres de la commission, au motif que ces documents sont couverts par le secret médical.

C’est absurde : de quoi les membres de la commission vont-ils bien pouvoir débattre s’ils refusent d’être informés de l’état de santé de l’élève autrement que par le truchement d’une seule personne, qui se retrouve donc seule à interpréter les documents soumis à la commission, les autres membres étant obligés de lui faire une confiance aveugle ?

Le secret médical a été instauré dans l’intérêt du patient. C’est le patient (ou ses parents, s’il est mineur), qui est le « propriétaire » des informations médicales qui le concernent ; c’est donc à lui qu’il appartient de décider à qui il souhaite transmettre ces informations Ainsi, si des parents estiment que, dans l’intérêt de leur enfant, les membres d’une commission d’orientation scolaire doivent prendre connaissance d’un certain nombre de documents médicaux concernant leur enfant, ces membres ne peuvent pas leur opposer le secret médical pour refuser pudiquement de les lire, ni le faire par l’intermédiaire d’une tierce personne. Par contre, ils sont, eux, tenus au secret professionnel, c’est-à-dire que les membres de la commission ne doivent en aucun cas divulguer les informations dont ils ont été les dépositaires.

Le cas de Clara est symptomatique : il est évident que si les membres de la commission avaient lu les rapports psychiatrique et psychomoteur, ils se seraient aperçus que cette élève ne relevait pas du dispositif spécifique aux enfants malades ou handicapés.

La cerise sur le gâteau, c’est que la commission de circonscription ne s’est pas contentée de valider, à tort, la nécessité de prévoir un plan d’intégration pour Clara, mais qu’elle a décidé de son passage en CP, contre l’avis de l’institutrice, contre l’avis de ses parents, contre l’avis du pédopsychiatre et contre l’avis de la psychomotricienne.

Selon l’avis de qui, me direz-vous ? Selon l’avis de l’inspecteur d’académie, qui aime à répéter que les parents n’ont pas le monopole de la défense des intérêts de leurs enfants. Avoir un enfant « handicapé » qui mène une scolarité normale, avec sa classe d’âge, grâce à un plan d’intégration, voilà qui donne une bonne image de l’éducation nationale. On améliore les statistiques. Qui ira voir ce qui se cache derrière les chiffres ?

La commission prend une décision collégiale, ce qui signifie que l’inspecteur a réussi à convaincre les autres membres, -qui ne connaissent pas, eux non plus, l’enfant concernée, du bien fondé de sa position ; ce n’est pas très difficile face à des instituteurs qui craignent de s’opposer aux inspecteurs en raison des répercussions possibles sur leur déroulement de carrière ; ce n’est pas compliqué non plus vis-à-vis de parents d’élèves qui, ignorant que Clara n’a pas de problèmes de santé, sont ravis de voir que, pour une fois, l’intégration des enfants handicapés pour laquelle ils se battent parfois depuis longtemps n’est pas un vain mot.

Clara, élève handicapée, passera donc en CP.

Accablés par cette décision, ses parents ne sauront pas trouver les recours efficaces auxquels ils auraient droit. Dans l’urgence, ils iront chercher une rare place restante dans une petite école privée soucieuse du bien être de leur fille. L’école étant fort éloignée de leur domicile, les parents, très motivés, iront jusqu’à vendre leur maison pour déménager à proximité.

L’inspecteur d’académie, qui a de la suite dans les idées, ira vérifier que Clara a bien été inscrite en CP dans sa nouvelle école. Heureusement, l’institutrice, avec l’accord des parents, lui fera faire pour l’essentiel le programme de grande section quelle n’avait pas pu assimiler la première fois, et proposera, en fin d’année, un « redoublement » du CP, classe que la fillette n’aura, e réalité, suivie qu’une seule fois.

Deux années après la décision de la commission, un tribunal jugera que la commission n’aurait pas dû statuer sur le cas de Clara puisque cette enfant n’était ni handicapée, ni malade.

(c) Salomé Viviana, 2005

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