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L’éthique dans les séries télé : une émission radio hebdomadaire en ligne sur Radio Créum
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Qu’est-ce qu’un auteur supposé ?
20 février 2003
Article du 9 janvier 2005

Entrez dans une librairie et dans une bibliothèque et prenez un livre. Sur la couverture, il porte un titre et le nom de son auteur. Le plus souvent, l’auteur signe de son nom. Mais il arrive que l’auteur soit inconnu. Auquel cas, on lira « Anonyme », au-dessus du titre.

C’est le cas de livres très anciens, comme la Bible, ou d’ouvrages dont l’auteur ne tenait pas à être identifié, comme Ma vie secrète, cette autobiographie érotique dans laquelle un anglais du XVIIIe siècle. raconte par le menu et dans le moindre détail toutes ses rencontres amoureuses - et il en fit des flopées...

L’auteur peut évidemment signer d’un pseudonyme. Philippe Sollers, Patrick Cauvin et Sébastien Japrisot ne s’appellent pas vraiment comme ça. Ils ont choisi un nom d’emprunt par discrétion ou par hommage, ou pour des raisons esthétiques, ou pour d’autres raisons encore.

Et puis il y a le cas, rare mais fort intéressant, du livre dont l’auteur n’existe pas. Je m’explique : un livre est publié, l’auteur reste invisible mais des éléments biographiques circulent à son sujet. Au bout d’un temps variable, on découvre que tout ce qu’on croyait savoir de lui a été inventé par le véritable auteur qui, lui, est resté dans l’ombre. André Gide a ainsi publié - et rédigé - Les Cahiers d’André Walter, oeuvres posthumes d’un jeune écrivain prématurément disparu ; Pierre Louÿs a soi-disant traduit les Chants de Bilitis, poétesse grecque du VIe siècle avant J.C. dont il avait lui-même rédigé les poèmes et inventé la biographie. En 1962, les Oeuvres complètes de Sally Mara, qui comprennent un roman (On est toujours trop bon avec les femmes), un Journal intime et un recueil de citations et d’aphorismes intitulé Foutaises était en réalité l’œuvre de Raymond Queneau...

Beaucoup de jeunes gens d’hier et d’aujourd’hui connaissent ou ont au moins entendu parler de Vernon Sullivan, l’audacieux auteur de J’irai cracher sur vos tombes. Ils ne savent peut-être pas que ce roman sulfureux en réalité écrit par l’infatigable Boris Vian fit scandale non seulement par son contenu sexuel très audacieux mais aussi parce qu’on l’avait trouvé sur la table de nuit d’un homme qui avait assassiné sa maîtresse. Le livre avait alors été accusé de provoquer des meurtres !

L’exemple contemporain le plus connu d’auteur « supposé » est, bien entendu, celui d’Emile Ajar, écrivain discret qui remporte le prix Goncourt avec son deuxième roman, La vie devant soi, mais consent tout de même à apparaître sur le plateau d’Apostrophes, émission littéraire alors en vogue. En réalité, Emile Ajar n’était autre que l’écrivain Romain Gary, qui s’était fait remplacer à la télévision par un petit-cousin du nom de Paul Pavlovitch.

Et je terminerai par Marc Ronceraille, un jeune écrivain et poète mort lui aussi prématurément et auquel la collection « Ecrivains de Toujours », au Seuil, consacra son numéro 100. Ce petit livre, constitué d’une biographie, d’extraits de textes et de photographies - tous faux - était l’œuvre du critique Claude Bonnefoy, auteur par ailleurs d’un Dictionnaire de la littérature française contemporaine. Pour rendre son jeune auteur crédible, Bonnefoy poussa le soin jusqu’à faire figurer dans son livre des photos de Ronceraille aux côtés de Pivot sur le plateau d’Apostrophes lors d’une émission qui n’eut jamais lieu.

Ces supercheries littéraires ont entre autres un but créatif précis : faire de l’auteur un personnage de fiction. Dans un passionnant ouvrage réédité en 2001, Jean-François Jeandillou en dénombre une trentaine seulement. Probablement parce que si publier des livres représente déjà beaucoup de travail, inventer de toutes pièces un écrivain et lui donner vie, ça en demande encore beaucoup plus. !

Supercheries littéraires : la vie et l’oeuvre des auteurs supposés, de Jean-François Jeandillou, Ed. Droz, 2001
Ma vie secrète, traduit par Mathias Pauvert. Plusieurs volumes aux éditions La Musardine
Oeuvres Complètes de Sally Mara, Gallimard, par Raymond Queneau, coll. « L’imaginaire », Gallimard.
J’irai cracher sur vos tombes, Vernon Sullivan, Livre de Poche
Les morts ont tous la même peau, Vernon Sullivan, Livre de Poche
Et on tuera tous les affreux, Vernon Sullivan, Livre de Poche
Elles se rendent pas compte, Vernon Sullivan, Livre de Poche
Cahiers et Poésies d’André Walter, André Gide, Coll. « Poésie » , Gallimard
Les Chansons de Bilitis, Pierre Louÿs, Coll. « Poésie » , Gallimard
Oeuvres complètes d’Emile Ajar, Romain Gary , Mercure de France, coll. « Mille Pages »
Marc Ronceraille, coll. « Ecrivains de Toujours » , Ed. Du Seuil
Le Mystère Marcoeur, Martin Winckler, L’Amourier

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