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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)

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C’est MOI qui accouche !
une nouvelle très polémique de Salomé Viviana
Article du 1er août 2004

Les accouchements physiologiques, c’est-à-dire sans complications, représentent plus de 80% des naissances. Cela signifie que plus de 80% des mamans peuvent donc accoucher " normalement ", sans avoir besoin d’autre chose que l’assistance d’une sage-femme, professionnelle justement formée à l’accompagnement de ces naissances. Son rôle est avant tout de veiller au bon déroulement de l’accouchement, rassurer et encourager la maman et prévenir l’obstétricien en cas de difficulté.

L’accouchement aujourd’hui ne ressemble à rien de cela. La plupart des obstétriciens ne l’envisagent que comme une pathologie nécessitant une importante prise en charge. Résultat : la maman amène son corps (si elle pouvait éviter d’amener son psychisme avec, ça simplifierait les choses) et l’équipe de la maternité s’occupe du reste. Le maître mot est "faire confiance". Mais faire confiance à qui, me direz-vous ? A la maman qui accouche ? Sûrement pas ! Au mieux, elle n’a accouché que quelques fois dans sa vie et son expérience, nécessairement limitée, est totalement subjective ; tandis que nous, à la maternité, nous sommes les spécialistes de l’accouchement : nous en voyons plusieurs par jour. Vous devez donc NOUS faire confiance. Nous savons ce qui est bon pour vous.

Si vous posez beaucoup de questions, c’est mauvais signe ; signe que vous doutez de nos compétences ; signe que vous vous méfiez ; signe que vous réfléchissez. Or, n’étant ni médecin, ni sage-femme, vous n’avez pas tous les éléments en main pour raisonner correctement. Et vous les fournir nous prendrait trop de temps, à nous qui sommes en sous-effectif chronique.

Nous allons donc vous accoucher. Oui Madame, c’est comme ça que l’on dit : au 21ème siècle, VOUS n’accouchez plus, ON vous accouche. De sujet, vous devenez complément d’objet direct. Vous avez bien lu, " objet ". la syntaxe n’est jamais neutre.

N’ayez pas peur, on s’occupe de tout : on va vous déclencher-perfuser-monitorer-lobotomiser (oups ! je dérape !) - épisiotomiser- forcepsiser ou césariser. Vous voyez ? tout se passera très bien ; nous avons la situation en main.

Parfois ça se corse parce que la situation (c’est vous) n’est pas d’accord ; elle se rebelle. Alors on est obligé de sortir le grand jeu : vous ne vous rendez pas compte des risques que vous courez, ou pire, que vous faîtes courir à votre bébé. Nous, nous savons (nous sommes les professionnels), vous pas ; (vous êtes innocente, pour ne pas dire inconsciente) et nous sommes là pour vous protéger, vous et votre bébé, y compris contre vous-même.

En général, ce mélange de menaces culpabilisantes à peine voilées et de paternalisme bon teint suffit à faire renter la récalcitrante dans le rang. Surtout si c’est son premier enfant, parce qu’elle manque de confiance en elle.

Mais en cas de besoin, on va chercher le père-de-l’enfant-à-naître à la rescousse. Souvent, c’est assez facile : il est là, à côté, à ne pas savoir quoi faire, inquiet de se trouver dans cette pièce glaçante près de sa femme-amie-conjointe-concubine-épouse-mère-de-son-enfant métamorphosée. Il sera fier d’avoir enfin un rôle à jouer. Monsieur, dîtes à votre femme d’être raisonnable, elle ne va tout de même pas refuser la péridurale ! Elle va souffrir, vous savez. Une péridurale, c’est si simple ! Là, en général, il craque.

Il est des cas rares où des femmes refusent ce qu’elles appellent notre " interventionnisme à outrance " et prétendent accoucher de façon naturelle. Il y en a eu une, un jour, qui a refusé la perfusion que l’on met en place au début du travail et qui est destinée à préparer une voie veineuse en cas de besoin, en nous indiquant qu’elle se portait bien, merci, mais qu’il serait temps de la lui mettre si son état se dégradait. Elle voulait rester libre de ses mouvements. Pour la même raison, elle a refusé le monitoring en continu et n’a pas cédé à notre chantage en nous indiquant que vivre, c’était prendre des risques et accoucher aussi, et qu’elle les assumait. Lorsqu’on lui a proposé la péridurale-remède-à-tous-ses-maux avec insistance, même refus poli et ferme.

A la question que je lui ai posée, de savoir comment elle allait faire alors pour supporter la douleur, elle m’a d’abord répondu que c’était mon rôle de l’aider à trouver des positions antalgiques (elle est bien bonne : on n’apprend plus ce genre de choses dans les écoles de sages-femmes aujourd’hui !) et a demandé à prendre un bain. Je me suis alors souvenu de ce qu’une collègue m’avait dit : elle l’avait eu en séance de préparation-à-la-naissance-conditionnement-des-mères-à-accepter-notre-interventionnisme-tous-azimuts, et lui avait demandé si nous étions équipés d’une baignoire.

Nous avons bien une baignoire, mais elle n’a pas servi depuis que M. G., ce vieil obstétricien réticent envers les nouvelles techniques d’accouchement, est parti à la retraite il y a bientôt deux ans. Je lui ai donc répondu que ce n’était pas possible. Regard noir du mari-époux-conjoint-père-de-son-enfant qui me demande où est cette fameuse baignoire (dans la pièce derrière, Monsieur), et sors tout de go avec sa femme-en -travail à son bras.

- Vous n’allez tout de même pas...
- Je ne vais tout de même pas quoi ? Nous sommes venus dans cette maternité parce qu’il y a une baignoire. Vous nous préparez la baignoire, ou c’est à moi de le faire ?

La voilà donc dans le bain ; penchée en avant, son mari lui masse le dos. Je suis obligée de venir les voir souvent pour m’assurer que tout se passe bien étant donné qu’ils ont refusé d’enregistrer les battements du c ?ur du bébé et que la surveillance par vidéo n’a pas été installée dans cette pièce. Ça me prend beaucoup plus de temps qu’un accouchement classique ; heureusement que les autres mères sont plus dociles.

Il faut dire que le père n’est pas commode non plus : tout à l’heure, il a mis fin au défilé de mes collègues curieuses d’apprendre comment pouvait se dérouler le travail dans une baignoire, en exigeant que moi seule continue à les assister pour l’accouchement. Je ne suis pas très rassurée car cela signifie qu’en cas de problème, c’est moi qui serait responsable, alors qu’ils s’obstinent à refuser tout le protocole. Je vais aller chercher l’obstétricien, on ne peut pas continuer comme ça.

Lorsque l’obstétricien est arrivé, elle était sortie de l’eau et faisait des étirements, toujours penchée en avant avec le ventre dans le vide. Il l’a regardé faire avec amusement et lui a demandé le pourquoi de cette gymnastique. " Parce que j’ai mal aux reins " a-t-elle répondu. " On ne vous a pas dit que le bébé avait le dos à droite ? Il me comprime le nerf sciatique ; si je me penche en avant, j’ai moins mal ". Celle-là, on ne lui en conte pas.

Le père-de-son-enfant :
- Vous devriez l’examiner, je crois que le bébé arrive.
- Au bout de trois heures de travail ? Vous plaisantez !
- Je ne plaisante pas ; regardez, elle commence à pousser.

Branle-bas de combat. On l’aide à aller jusqu’à la table d’accouchement. Au moment de l’installer les pieds dans les étriers, je la vois qui se crispe.

- Je ne peux pas.
- Comment ça, vous ne pouvez pas ?
- Je ne peux pas me mettre sur le dos, ça me fait horriblement mal aux reins.
- Pourtant, il va bien falloir qu’il naisse, cet enfant !

Le père-de-son-enfant intervient : " Il faut essayer sur le côté, comme en Angleterre. " L’obstétricien, ébahi : " Sur le côté ? On n’a jamais fait ça ici. " Le père-de-son-enfant, du tac au tac : " Il y a un début à tout. Vous êtes à la bonne hauteur pour travailler, comme d’habitude. Ma femme n’a plus mal aux reins, ce qui vous évitera de l’entendre hurler. Quant à moi, je lui tiendrai la jambe levée. De tout façon, on n’a plus le temps de tergiverser. Et je vous préviens, elle ne veut pas d’épisiotomie. "

L’obstétricien avale sa salive. Quelques minutes plus tard, un long gémissement : l’enfant est là. Pas de déchirure ni la moindre égratignure ; le périnée est intact. Le visage radieux de celle qui a la fierté d’avoir mis son enfant au monde. Ce couple me désarçonne.

Je les ai laissés un quart d’heure pour faire connaissance avec leur enfant, comme d’habitude. Quand je suis revenue, le bébé était déjà au sein. Visiblement, ils n’avaient pas eu besoin de mon aide. Lorsque j’ai voulu le baigner, le père m’a répondu qu’il allait le faire (j’aurais dû m’en douter) et que de toute façon, il n’était pas sale.

Elle a quitté la maternité dès le lendemain en signant une décharge et après avoir refusé la visite du pédiatre au motif qu’elle avait huit jours pour montrer son enfant au médecin de son choix. Elle n’a pas rempli les tableaux mentionnant les horaires des tétées et les quantités prises à chaque fois par son bébé. Ils ont " oublié " sur le lit la longue ordonnance (vitamines D et K, fluor, bétadine...) rédigée systématiquement par le médecin. Ils prétendent que comme il y a du soleil et que le bébé est allaité, il n’aura pas de carences, et elle estime pour sa part ne pas avoir besoin de se désinfecter matin et soir. Ils nous ont tout de même indiqués qu’ils allaient faire venir une sage-femme à domicile pour les soins post-natals pendant une semaine.

Je ne suis pas rassurée. Leur excès de confiance cache de l’inconscience. Ils ne se rendent pas compte de ce que c’est que de s’occuper d’un nouveau né. Je vais suggérer à l’équipe d’alerter les services sociaux du département.

Salomé Viviana


PS : si vous faîtes partie (ou connaissez) des femmes qui prétendent que ce sont elles qui accouchent, vous pouvez consulter utilement le portail naissance : http://www.naissance.ws

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