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Contraception et prévention des IVG : rien ne se fera sans les médecins français
par Martin Winckler
Article du 25 juillet 2004

Transcription de l’audition de Marc Zaffran, alias Martin Winckler, médecin et écrivain, le 17 janvier 2001, par la commission des affaires sociales du Sénat.


Lire l’intégralité du rapport et des auditions.


M. Jean DELANEAU, président - Je souhaite accueillir M. Zaffran. Il est l’auteur de La maladie de Sachs et de La vacation. Nous avons accueilli des responsables de différents services. Aujourd’hui, je souhaiterais savoir ce que vous pensez de l’évolution des textes portant sur l’application de la loi. Je souhaite que vous nous parliez plus particulièrement des rapports entre les médecins et l’IVG. Le médecin va-t-il désormais pouvoir garder son pouvoir de décision ? Je souhaite, à cet égard, vous citer l’un de vos propos, à moins que cette citation ne soit pas de vous : "La différence entre Dieu et un médecin, c’est que Dieu ne se prend pas pour un médecin".
 [1]

M. Martin WINCKLER - Je suis un peu ému de me trouver devant cette commission. Je ne représente personne sinon moi-même. Pendant quinze ans, j’ai pratiqué des IVG. Je n’en pratique plus depuis environ deux ans. C’est un travail extrêmement fatigant sur le plan moral.

Les médecins qui pratiquent des IVG sont pour la plupart volontaires. Tout travail de soins doit, d’une manière ou d’une autre, être gratifiant. L’IVG n’est pas en soi un acte gratifiant. C’est le fait de soigner une femme et de l’écouter qui est gratifiant. Dans 99 % des cas, les situations auxquelles les médecins doivent faire face sont extrêmement complexes. Le fait d’être présent pour entendre ces femmes et non seulement pour pratiquer une IVG est un acte thérapeutique. Le travail ne consiste pas uniquement à faire des IVG. Notre travail est de recevoir les femmes avant et aussi, très souvent, après l’acte. C’est un moyen de discuter et de comprendre ce qui les a poussées à prendre cette décision. Ce dialogue permet également de faire en sorte que ceci ne se reproduise pas. Ce dialogue sert également à les déculpabiliser.

La fécondité d’une femme commence vers l’âge de 12 ou 15 ans et se termine souvent autour de 50 ans. Il s’agit de presque 40 ans de fécondité. Humainement, il n’est pas possible de contrôler complètement sa fécondité pendant 35 ou 40 ans. Je dis aux femmes qu’elles ne sont ni des robots ni des machines. J’ai certes cessé de faire des IVG. Cependant, je continue à recevoir des femmes qui ont des problèmes de contraception, soit avant, soit après une IVG.

Concernant l’IVG à proprement parler, deux choses me paraissent importantes. Premièrement, il s’agit du prolongement du délai. Je trouve qu’il est logique de ne pas forcer les femmes à se rendre en Belgique pour avoir une IVG. Pour une différence de quinze jours, il n’est pas logique d’obliger ces femmes à se rendre à l’étranger. Je vous rappelle qu’il n’y a pas de différences fondamentales au niveau technique entre une IVG à dix semaines et une IVG à douze semaines. Je ne vois pas de différence éthique.

Deuxièmement, sur le plan de l’autorisation des mineures, le problème est simple. Les médecins sont très attachés au principe du secret médical. Or le secret médical est également dú aux mineures. Si une adolescente vient me voir en me disant qu’elle souhaite avoir une contraception, je ne suis pas censé appeler ses parents pour les avertir. Si je demande une autorisation parentale, je romps le secret médical. Bien entendu, je ne crois pas personnellement qu’il faille laisser une mineure abandonnée à elle-même. Dans environ 9 cas sur 10, on arrive, à force de discussions, à trouver un moyen pour que l’adolescente l’annonce au moins à l’un de ses parents. Bien souvent, la mineure vient dans mon cabinet en affirmant qu’elle ne peut pas le dire à ses parents. Je lui demande alors si elle peut en parler à un adulte proche de ses parents. Grâce à cet intermédiaire, elle peut parler de sa grossesse à ses parents. Cet adulte, qui souvent fait partie de la famille, sert de tiers et joue le rôle d’intermédiaire.

Il existe aussi un petit nombre de cas, qui me semble irréductible, pour lesquels il est impossible à une mineur d’en parler à ses parents. Certaines mineures vivent des situations beaucoup plus complexes que d’autres. Les personnes qui les accompagnent affirment qu’il existe trop de tension dans la famille pour pouvoir parler de sexualité. C’est pour cette raison que je pense que la possibilité pour une mineure, une fois que l’on a envisagé toutes les possibilités de dialogue possible, de ne pas avoir recours à l’autorisation de l’un de ses parents mais éventuellement d’avoir quelqu’un autour de soi qui puisse se porter garant est une solution. Je pense que ceci apporte une sécurité.

Dans la majorité des cas, les mineures préfèrent que les parents soient au courant. Je ne crois absolument pas qu’il faille tenir les parents à l’écart. Mais le secret médical me paraît intangible et inviolable. Par conséquent, ce n’est pas au médecin d’annoncer aux parents que leur fille est enceinte. C’est à l’enfant elle-même de l’annoncer à ses parents. Je vous rappelle que le secret médical existe entre époux. Si une femme vient avorter, je ne suis pas censé informer le mari. Si je le faisais, la femme pourrait m’attaquer en justice et gagnerait. Si le secret médical existe entre époux, il existe également entre parents et enfants.

Quand un enfant souffre d’un trouble psychiatrique grave et qu’il fait l’objet d’une psychothérapie, l’analyste n’a pas à révéler ce qui s’est dit avec l’enfant. Certes, les parents sont très frustrés par cette situation. Le problème est que le médecin, le plus souvent, ne leur explique pas qu’il est tenu au secret médical. Si vous suivez une thérapie et que vos enfants venaient voir votre analyste, alors vous ne souhaiteriez certainement pas que votre médecin leur parle de vos problèmes. Le secret médical est absolu. Il est impératif de le respecter même dans cette situation bien précise. Bien entendu, la personne intéressée peut lever d’elle-même ce secret. Toutefois, ce n’est pas au médecin de le faire.

M. Jean DELANEAU, président - Nous avons rencontré un certain nombre de médecins qui ont quelques réticences à aller plus loin dans les interruptions de grossesse, c’est-à-dire au-delà de dix semaines. Certaines associations considèrent que le médecin est à leur service. Pensez-vous que le médecin doit être leur instrument ?

M. Martin WINCKLER - Je répondrai de façon assez abrupte. Est instrument celui qui veut être instrument. Ceci me paraît être un faux problème. Je ne sais pas comment les associations féministes considèrent cette question mais la position du médecin est très simple. Nous courons toujours le risque d’être utilisés par nos patients.

C’est au médecin de décider de quelle manière il peut apporter à ses patients l’aide qu’ils demandent. Certes, il existe certaines choses qu’un médecin ne peut jamais refuser. Il se doit d’écouter ses patients. Il se doit également de répondre à leurs questions. Il n’a pas le droit de répondre à des questions qui concernent une personne extérieure. En revanche, il se doit de répondre aux questions qui concernent directement le patient. Ce n’est pas instrumentaliser le médecin que de lui demander de vous expliquer de quoi vous souffrez ou de lui demander quelle est la nature exacte de votre maladie ou encore de lui demander quels sont les traitements auxquels vous pouvez avoir recours.

L’objection du médecin qui préfère ne pas parler à son patient de peur de lui faire du mal n’est pas valable. Le secret médical n’est pas opposable au patient lui-même. En revanche, le médecin peut refuser de faire quelque chose qui va au-delà de ses aptitudes et de ses capacités ou qui va à l’encontre de son éthique personnelle. En effet, je conçois parfaitement que des médecins refusent de pratiquer des IVG. Ce refus ne me choque pas. Ce que je ne conçois pas est que ces médecins interdisent aux autres de le faire.

Je vous répète que j’ai pratiqué des IVG pendant quinze années. Je ne me suis jamais senti instrumentalisé par les femmes sous prétexte que ces dernières avaient des revendications. Je souhaite à cet égard vous raconter une anecdote. J’ai rencontré une femme enceinte qui voulait que je fasse une échographie afin de savoir si elle attendait un garçon ou une fille. Elle m’a affirmé que si l’enfant était un garçon, elle souhaitait avorter et si l’enfant était une fille, elle souhaitait le garder. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas répondre à sa demande. Je lui ai expliqué que j’étais conscient qu’elle pouvait aller voir un autre médecin pour faire une échographie puis revenir pour pratiquer une IVG.

Cependant, c’était son problème. Je lui ai dit que je ne ferai pas une telle chose car elle m’avait annoncé clairement ses intentions. Je considère que ce n’est pas de mon rôle d’offrir à cette femme les moyens de faire un choix que je ne juge pas moral. Je savais également, après avoir discuté longuement avec cette femme, que cette dernière était venue à de nombreuses reprises dans le service et que cette femme souffrait d’un trouble psychiatrique grave. Son problème ne résidait pas dans le fait d’avoir un enfant. Son malaise était bien plus profond. Nous étions en l’occurrence en prise directe avec son problème. Heureusement, au stade où cette femme était enceinte, on ne pouvait pas dire si cette femme attendait un garçon ou une fille. Dans ce contexte, j’étais en droit de dire que je ne souhaitais pas participer à ce type d’intervention. Toutefois, je savais que je ne pouvais pas empêcher cette femme d’avoir recours à un autre médecin pour obtenir ce qu’elle désirait. Dans ce cas, je ne l’aurais pas dénoncée auprès de mes collègues.

Je souhaite vous conter une autre anecdote. Une femme enceinte est venue me voir. Elle venait de se remarier. Cette femme, âgée de 38 ou 40 ans, n’avait pas d’enfants. Elle comme son mari avaient eu une vie extrêmement compliquée. Elle m’a avoué qu’elle était enceinte de jumeaux mais qu’elle ne pouvait pas mettre au monde deux enfants. Cette femme avait déjà pris sa décision. Décider de faire une IVG sur cette femme m’a été difficile en particulier parce que je suis moi-même père de jumeaux. Cependant, elle se trouvait à une étape au-delà de la femme précédente. Elle ne m’a pas demandé de prendre cette décision. Sa décision était déjà prise. Je n’avais donc rien d’autre à faire. Je ne pouvais pas refuser de l’aider. C’est ici que l’on se rend compte que la barrière est ténue. Nous sommes toujours obligés de bien voir à quel moment de leur vie et de leur existence les femmes se trouvent. Par conséquent, les médecins qui se trouvent dans ce type de situations, doivent avoir du temps. Une IVG est un acte délicat. Il faut également pouvoir le faire dans de bonnes conditions.

J’ai travaillé pendant de nombreuses années dans le centre du Mans dans lequel il y avait uniquement des médecins généralistes. Les obstétriciens n’étaient pas opposés à l’interruption volontaire de grossesse mais ils étaient surchargés de travail.

Tous ces généralistes, moi y compris, avaient une clientèle en dehors de l’hôpital. Nous faisions donc ces interventions en plus de notre travail habituel pour 360 francs par matinée. Un de ces médecins le fait depuis 25 ans. Ces médecins ne le font pas parce qu’ils aiment pratiquer des IVG. Ils le font parce qu’ils ont une conviction profonde. Cette conviction peut d’ailleurs être très différente d’un médecin à l’autre. Nous ne pouvons pas nous désolidariser des femmes, et dire qu’il est de leur seule responsabilité de garder l’enfant ou de se faire avorter dans l’illégalité. Nous ne pouvons pas dire " Tant pis pour elles si elles en meurent ". En tant que médecin, nous ne pouvons pas adopter cette attitude. Nous pouvons être fondamentalement choqués par la nécessité de pratiquer une IVG. Cependant, deux maux ne font pas un bien. Comme le disent les Anglais " two wrongs don’t make a right ", c’est-à-dire que deux négations ne conduisent pas à quelque chose de positif.

Nous sommes obligés, à un moment donné, de prendre position. Actuellement, je suis préoccupé par la fatigue des médecins. De nombreux médecins pratiquent des IVG depuis fort longtemps. Or ceux qui ont commencé à pratiquer des IVG dans les années 70 ou 80 ne sont pas du tout dans le même état d’esprit que les médecins plus jeunes. Ils ne partagent pas la même conception, ils n’ont pas la même motivation et ils n’ont pas la même vision morale des choses. Les médecins actuels ont plutôt tendance à considérer que ces choses sont des acquis.

Un autre sujet me préoccupe. Une loi qui parlerait d’IVG mais qui ne réviserait pas très profondément le problème de la contraception serait une loi incomplète. Encore aujourd’hui, les jeunes médecins qui sortent de la faculté de médecine connaissent peu de choses sur la contraception. L’un des deux moyens de contraception les plus fiables est le stérilet. Or ce moyen est sous-utilisé en France. Pourtant, plusieurs dizaines de millions de femmes Chinoises portent un stérilet. Il ne s’agit pas d’une méthode dangereuse. C’est le mode de contraception numéro un en Chine. Or vous connaissez les problèmes démographiques de la Chine. Je déplore qu’il existe encore en France des préjugés tenaces à l’encontre du stérilet. Ces préjugés persistent non seulement au niveau de la population mais aussi au niveau des médecins.

Par ailleurs, les généralistes devraient poser des stérilets à leurs patientes. C’est un acte extrêmement simple. Or ils ne le font pas car ils en ont peur. De plus, les gynécologues-obstétriciens des CHU leur recommandent fréquemment de ne pas le faire. Ainsi, ces derniers préservent leur chasse gardée. Les généralistes ne posent pas de stérilet à leurs patientes. Par conséquent, ils ne les leur proposent pas non plus et ne leur en parlent pas.

M. Jean-Louis LORRAIN - La pose d’un stérilet requiert un minimum de matériel. C’est la raison pour laquelle les généralistes ne peuvent le faire.

M. Martin WINCKLER - J’ai exercé la médecine pendant de nombreuses années et je sais que l’on peut poser des stérilets sans aucune contrainte. Il suffit d’abroger la loi.

M. Jean-Louis LORRAIN - La loi stipule que le médecin dispose d’un matériel de réanimation.

M. Martin WINCKLER - Certes, la loi stipule que les médecins disposent d’un matériel de réanimation. [Note de MW en 2004 : En réalité, ce n’est plus vrai. L’exigence selon laquelle il faudrait disposer d’un matériel de réanimation au cabinet médical a été supprimée il y a longtemps.] Cependant, la carte n’est pas le territoire. J’ai exercé dans un centre médical et dans un cabinet privé et je n’ai jamais eu ce type d’installations. Certes, il ne faut pas poser un stérilet à n’importe qui et dans n’importe quelles conditions. Nous n’avons jamais eu à la maternité du Mans un seul accident. Le seul accident qui peut arriver avec un stérilet est le malaise vagal. Dans la mesure où les femmes sont allongées pendant la pose du stérilet, le risque est minime. Nous n’avons pas eu d’accidents ni de perforations. Nous n’avons pas besoin d’un appareil de réanimation pour poser un stérilet. Si vous tenez ce genre de propos en Angleterre ou aux Etats-Unis, on va vous rire au nez. Il est uniquement nécessaire de savoir à quelle femme et dans quelles conditions on peut le poser. Il faut également ne pas insister pour poser un stérilet à une femme qui manifestement ne le souhaite pas. J’ai rencontré uniquement deux problèmes en quinze ans de carrière. Deux femmes ont expulsé leur stérilet car c’était leur mari qui insistait pour qu’elles en portent un. Le fait est qu’il ne faut pas forcer les femmes. Il faut surtout savoir expliquer. Beaucoup de femmes ne veulent pas de stérilet. Cependant, lorsqu’elles voient que le stérilet est très petit, elles changent souvent d’avis.

Par ailleurs, il me semble qu’une campagne sur la contraception ne peut pas se faire sans les médecins. Je ne suis pas du tout un partisan du Conseil de l’ordre. Je ne suis pas non plus un partisan de la plupart des syndicats médicaux. Toutefois, je pense que la seule chose raisonnable est d’impliquer les médecins dans les campagnes de prévention. Jusqu’à présent, toutes les campagnes de contraception menées par le Gouvernement ont été faites d’une part en pure perte et d’autre part en dépit du bon sens. Leur échec est dú au fait qu’elles ne se sont pas appuyées sur les praticiens. Il faut garder à l’esprit une chose. Les conseillers techniques des campagnes pour la contraception sont les médecins. En effet, les législateurs ne peuvent pas se passer d’un médecin pour connaître les conditions techniques. Si le législateur s’appuie sur les praticiens pour écrire une loi ou faire une campagne et ne prend pas appui sur les médecins eux-mêmes pour transmettre cette campagne, la faire connaître et l’expliciter, alors cette campagne sera vouée à l’échec. De surcroît, les législateurs s’aliéneront l’ensemble de la profession. Je le répète, je ne suis pas partisan du corps médical. Néanmoins, je pense que c’est une hérésie de vouloir transmettre un message de façon verticale sans avoir recours au savoir-faire et à la bonne volonté des professionnels de santé.

Deux choses me semblent particulièrement importantes. Premièrement, la manière dont on enseigne une chose si quotidienne et aussi fondamentale que la contraception, la fécondité et la sexualité doit être repensée dans les facultés de médecine. En première année, je dis aux étudiants qu’il y a deux choses dont on ne leur parlera pas pendant leurs études : la mort et la sexualité. Ces domaines sont considérés comme étant acquis et comme étant des choses dont on ne discute pas. On considère que ces sujets ne doivent faire l’objet ni de débats ni d’échanges. Or nous ne pouvons pas parler de contraception sans parler de sexualité. Nous ne pouvons pas parler de sexualité sans parler de contraception. En ce sens, la faculté de médecine instrumentalise ses étudiants. Elle les considère comme des individus de pur savoir. Les étudiants sont censés n’avoir ni désir ni position idéologique. Ils doivent uniquement adopter l’attitude neutre et bienveillante des médecins.

Or ce cas de figure n’existe pas. Un problème aussi fondamental que celui-ci n’est pas discuté dans les facultés de médecine car on refuse d’en parler sous les angles les plus épineux. Or c’est uniquement de cette façon que les médecins pourront comprendre les problèmes de leurs patients. Il est donc essentiel de repenser la formation des médecins.

Deuxièmement, il faut également adapter le message sur la contraception. Le problème du Sida a occulté le problème de la contraception. Si nous souhaitons avoir un message clair, il faut adapter notre message aux réalités de la jeunesse. Nous avons remplacé le problème de la contraception par la peur d’être infecté par le virus VIH. Or si le préservatif est une très bonne protection contre le virus du Sida, il est, en revanche, une très mauvais mode de contraception. Il existe, en effet, des possibilités de fuite de sperme. Une goutte de sperme à l’entrée de la vulve d’une femme peut provoquer une grossesse même chez une femme qui a encore son hymen. Or une adolescente a statistiquement beaucoup plus de probabilité de rencontrer un partenaire fertile qu’un partenaire infecté. Le risque majeur lors du rapport sexuel chez l’adolescente n’est pas - bien qu’il ne faille pas le négliger - les maladies sexuellement transmissibles. Le risque majeur est la grossesse non désirée, qui mène à une IVG. Nous nous devons de rectifier le message.

Les adolescents doivent se protéger contre les maladies sexuellement transmissibles. Toutefois, les jeunes filles doivent également utiliser une contraception efficace. Ce sont deux choses différentes. Il s’agit de faire les deux choses en même temps sinon nous allons avoir un maintien des grossesses non désirées. Nous risquons également d’entretenir encore la confusion. La sexualité de l’individu est une. Elle ne se fragmente pas. Il est essentiel de considérer l’ensemble de la problématique.

Je suis en train d’écrire un livre sur la contraception à l’intention du plus grand nombre. Ce livre sera clairement destiné au grand public et ne jargonnera pas. Je tenterai de donner dans cet ouvrage des explications simples, compréhensibles par n’importe quel lecteur ou lectrice. Au centre d’interruption de grossesse du Mans, nous voyons arriver un très grand nombre de femmes qui réclament une IVG alors qu’elles ont accouché quatre mois plus tôt. Pourquoi rencontre-t-on si fréquemment ce type de situation ? Les consultations de sortie de maternité sont faites par les externes. Je ne dis pas que les gynécologues se désintéressent de ce problème. Je dis simplement qu’avec la fermeture de toutes les maternités locales les gynécologues sont surchargés de travail et n’ont pas le temps de mener cet entretien.

Nous devrions parler de contraception à ces femmes au moment de leur consultation de sortie. Même si une femme vient d’accoucher, elle peut à nouveau tomber enceinte. Il arrive fréquemment que le médecin qui mène l’entretien de sortie soit trop inexpérimenté pour en discuter correctement. Or ce type de discussion fait partie du travail des médecins. De plus, il arrive fréquemment que les médecins rencontrent les mères un mois après leur accouchement pour la consultation du nouveau né. Or ils ne saisissent pas cette occasion pour parler de contraception. Il est vrai que les femmes, juste après avoir accouché, n’ont pas forcément envie d’avoir des rapports sexuels. Mais ne vous imaginez pas pour autant qu’elles n’en ont pas. Certaines femmes ont des rapports sexuels le lendemain de leur accouchement.

Or ce sujet n’est pas abordé avec les intéressées. Je déplore qu’un très grand nombre d’IVG aient lieu à cause de ce manque de communication et d’information. En 35 ans de fécondité, il n’est pas possible de tout maîtriser humainement. Tous ces éléments de la vie courante doivent être pris en compte. Pour éditer une loi utile -je parle ici en tant que citoyen- il me semble qu’elle doit tenir compte de la vie quotidienne des hommes et des femmes. Par conséquent, elle doit aussi tenir compte de ceux qui sont à leur contact le plus direct. C’est la raison pour laquelle je demande que l’on fasse appel à la coopération des médecins.

Je connais de nombreux généralistes qui souhaiteraient s’impliquer davantage dans la prescription de la contraception et apprendre à poser des stérilets mais ils n’ont pas le temps de le faire. Il suffit de quelques jours de formation. Aux Etats-Unis, de nombreuses formations accélérées sont réalisées. Ce système me semble tout à fait adaptable à la France. Ceci permettrait de faciliter la prescription de la contraception en zones rurales. En effet, de nombreuses femmes habitent dans de petites communes ou dans des villes de moyenne importance où il n’y a pas de gynécologues.

(fin de la transcription).

Lire l’intégralité du rapport et des auditions.

Ont été entendus : Israël Nisand, chef de service de gynécologie-obstétrique au sihcus-cmco de strasbourg, auteur du rapport " l’ivg en france : propositions pour diminuer les difficultés que rencontrent les femmes " (février 1999), Mme Chantal Lebatard, administrateur à l’union nationale des associations familiales, accompagnée de Mme Monique Sassier, directrice des études politiques ; René Frydman, chef de service de gynécologie-obstétrique, hôpital Antoine Béclère de Clamart ; Danielle Gaudry, Présidente de la confédération du Mouvement Français Pour Le Planning Familial et Martine Leroy, responsable du dossier avortement de la confédération ; Bernard Glorion, alors président du Conseil National De L’ordre Des Médecins ; Michel Tournaire, chef de service de gynécologie obstétrique à l’hôpital Saint-Vincent De Paul, président du groupe de travail de l’agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) sur l’ivg ; Claude Sureau, président de l’académie nationale de médecine ; Didier Sicard, président du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé ; Bernard Maria, président du collège national des gynécologues obstétriciens français ; Paul Cesbron, président de l’association nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) et Chantal Birman, vice-présidente de l’ANCIC ; Bernard Bourreau, gynécologue obstétricien dans le service de maternité obstétrique de l’hôpital général de Blois, Sylvette Desroches, médecin, Christine Claval, infirmière du centre ivg et Micheline Dupont, conseillère conjugale du centre de planification de Blois.


[1J’aimerais beaucoup qu’elle soit de mon cru. Mais bien qu’elle soit citée dans La Maladie de Sachs et soit également le titre de ma seconde chronique sur France Inter, je n’en suis pas l’auteur. Je l’ai entendue dans un épisode de Law & Order/New York District, série télévisée américaine souvent très critique non seulement avec le système judiciaire, mais aussi avec les médecins...
Cliquez ici pour en savoir plus sur L&O/New York District...

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