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Censure et réécriture de l’histoire
TF1 « révise et corrige » un téléfilm sur la montée du nazisme
"Hitler : La naissance du mal " : toutes les coupes
Article du 25 janvier 2004

La version tronquée de Hitler, La naissance du mal, téléfilm historique américain produit en 2003 et relatant la vie d’Adolf Hitler jusqu’à son accession au pouvoir, a été diffusée sur TF1 mercredi 28 janvier. Seul "détail" : les téléspectateurs français n’ont pas eu droit au même discours que le public américain, belge ou suisse. En effet, le téléfilm a été coupé de manière scandaleuse par TF1 ; la chaîne française l’a tout bonnement censuré d’un quart de sa durée, et l’a expurgé, entre autres, des propos les plus antisémites prononcés par le futur dictateur et de ses déclarations politiques sur la "nécessité de sacrifier les libertés individuelles pour lutter contre les ennemis infiltrés". Résultat : un film privé de tous ses passages signifiants, de toute sa rigueur narrative, de l’intelligence avec laquelle il retrace le trajet du personnage le plus néfaste du XXe siècle mais aussi de sa dimension artistique (des scènes entières situées dans un cabaret, contrepoint indispensable à la narration, ont disparu) et politique (des scènes cruciales, comme le putsch de la brasserie, ont disparu également sous les ciseaux de TF1) et contemporaine (les discours d’Hitler, que les critiques américains n’ont pas manqué de rapprocher de ceux de George Bush à la veille de la guerre en Irak).

Le téléfilm tronqué diffusé le 28 janvier est une triple trahison : contre les auteurs ; contre les spectateurs ; contre l’histoire du XXe siècle et celle du XXIe. Or, il n’est même pas sûr que TF1 publie en DVD la version intégrale...

Aux questions d’un journaliste de TVMag qui l’interrogeait sur ces coupes (sans en connaître la nature, évidemment) Laurent Storch, responsable des acquisitions de TF1 a donné des réponses mensongères (Lire les réponses).

Le détail (ci-dessous)montre que les coupes dépassent largement ce qu’il décrit et que les motifs invoqués ne sont pas du tout clairs.

Et cette censure n’a pas eu lieu en Allemagne en 1935, ni dans l’Amérique de George Bush, mais aujourd’hui, en 2004, en France... (En Belgique, en revanche,ils n’ont pas de TF1 !)

Martin Winckler (martinwinckler@free.fr)


Hitler, toutes les coupes

The only thing necessary for the triumph of evil is for good men to do nothing. (La seule condition nécessaire pour que le mal triomphe, c’est que les hommes intègres ne fassent rien.)
 (Citation d’Edmund Burke présente au début et à la fin de Hitler - La naissance du mal...)


En mai 2003, la chaîne américaine CBS diffusait un téléfilm historique de 2x90 minutes, intitulé : Hitler, The Rise of Evil (" Hitler, La naissance du mal "), réalisé par le cinéaste canadien Christian Duguay et écrit par une équipe de scénaristes et d’historiens.

Ledit téléfilm retrace l’itinéraire et l’accession au pouvoir de celui qui allait mettre le monde à feu et à sang et exterminer (entre autres) des millions de Juifs. La presse américaine, tout en relevant les imperfections de cette fiction historique, n’a pas manqué d’en souligner les qualités et le caractère pédagogique.

Personne (et les Etats-Unis ne manquent pas d’historiens pointilleux) ne lui a reproché de travestir la réalité ou d’ " humaniser " le personnage d’Hitler - principale crainte exprimée, avant la diffusion, par la communauté juive. Le diffuseur (la chaîne CBS) a consacré une partie de son site internet à la présentation du téléfilm ; la présentation en ligne insiste tout particulièrement sur l’historicité des personnages incarnés dans le téléfilm. Le site (en anglais) est toujours accessible à ce jour. Il montre que tous les personnages du téléfilm sont historiques... et que les participants au débat l’ignoraient !

Consultez le site de CBS consacré à Hitler, the Rise of Evil

Cette fiction, TF1 l’a achetée et programmée pour le 28 janvier prochain (mercredi soir) ; parallèlement, sa filiale TF1 Vidéo a annoncé la sortie du téléfilm dans un double DVD prévu pour le mois de mars prochain. Mais, chose curieuse, lors de la conférence de presse de présentation, TF1 expliquait aux journalistes présents que la version diffusée en France (et dont la cassette a été adressée à la presse) serait plus courte que la version originale. Et il suffit de consulter les magazines de télévision pour constater effectivement que la durée de diffusion indiquée est de 2 h 10, et non de 177 minutes - soit 47 minutes de moins. Où sont passées ces 47 minutes ? Quelles séquences TF1 a-t-elle jugé bon d’"épargner" aux téléspectateurs ?

Certains journalistes (à Télérama, en particulier) ont interrogé Laurent Storch, directeur des acquisitions de TF1, à ce sujet. Les réponses qu’il leur a faites sont mensongères et ces journalistes sont en droit, aujourd’hui, de penser qu’ils ont été roulés dans la farine...

Comme de nombreux journalistes de télévision, j’ai reçu en avant-première, pour les annoncer, les jaquettes de l’édition DVD en préparation chez TF1 vidéo, et une cassette de la version destinée à la diffusion. J’ai constaté immédiatement que les deux versions n’avaient pas la même durée.

Pour identifier les différences, j’ai comparé la version intégrale (le DVD existe déjà en zone 2 (sans sous-titres) sur les sites vidéo britanniques) à la version qui sera en principe diffusée mercredi prochain.
Il est donc important de préciser que tout ce qui suit a été fait seul, sans indiscrétion aucune venant de TF1 : il suffisait de se pencher sur les documents officiels pour lever le lièvre. Ce qui m’étonne, c’est qu’aucun autre journaliste de la presse écrite ne l’ait fait (à ma connaissance).

Lors de sa conférence de presse pour présenter "Hitler-La naissance du mal", un responsable de TF1 a annoncé clairement que la version télé serait plus courte ; il aurait de plus déclaré que les coupes portent essentiellement sur des scènes se déroulant pendant la première guerre mondiale, au prétexte que "Les Américains ne connaissent pas cette guerre, tandis que les Français, eux, la connaissent !" (sous entendu : c’est pas la peine qu’on ennuie nos compatriotes avec ça). L’ineptie du motif n’échappera à personne.

Mais ce motif n’est pas seulement inepte, il est mensonger. Dans la version de TF1, la première partie du téléfilm a été amputée de plus de vingt minutes, qui ne concernent pas toutes la première guerre mondiale. Que manque-t-il ? La moitié des coupes effectuées par TF1 ont porté sur des segments répartis dans toute la première partie : des scènes entières, indispensables à la logique et la compréhension du récit, mais aussi, et c’est beaucoup plus grave, des répliques choisies et "excisées" de manière délibérée en raison de leur contenu. Que contiennent la plupart de ces répliques expurgées ?

 Des éléments historiques indispensables à la compréhension de l’histoire et des faits qu’elle rapporte
 Des situations ou des personnages lourds de symboles
 Les propos antisémites les plus violents exprimés par Hitler dans le film. !!!!!
et, à la fin :
 Des scènes et des déclarations politiques qui ont une résonance tout à fait étonnantes dans le contexte politique actuel, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France !!!!


Les coupes, scène par scène

Note : Cette page ne recense que les coupes les plus importantes. La liste complète des coupes et leur description détaillée sont reprises intégralement dans un fichier au format PDF que j’ai enregistré pour tous ceux qui le veulent. Pour télécharger ce fichier, cliquez sur l’affiche du film insérée au bas de cette page.

Si la version adressée aux journalistes est bien diffusée mercredi 28 janvier, vous ne verrez pas les séquences suivantes (les dialogues coupés sont en gras ; je les ai traduits moi-même) :

Coupés : Plusieurs plans du générique (entièrement remonté par TF1) dans lesquels on voyait :
 un homme faisant écouter du Wagner au petit Adolf ;
 le père d’Hitler se maudissant d’avoir épousé sa propre nièce ;
 la mère d’Hitler, malade, tenant des propos xénophobes pendant qu’un médecin (probablement juif !) l’examine ;
 le même médecin annonçant au jeune Adolf que sa mère va mourir d’un cancer du sein et le jeune homme éructant : "C’est un mensonge ! Elle ferait n’importe quoi pour compromettre ma carrière." ;
 Hitler se plaignant des Juifs à un compagnon d’infortune avec qui il dort dans la rue ; l’homme lui lance : "C’est drôle [que tu dises ça], je pensais que toi, tu étais juif : tu leur ressembles !"

Coupé : Juste avant la première guerre mondiale, lorsque sa soeur découvre qu’il est sans le sou, Hitler lui déclare : "Ce sont les Juifs qui tiennent les galeries, et il n’achètent pas mes tableaux. Quant aux Polonais, ils travaillent pour rien, alors je ne trouve pas de travail."

Coupé : Pendant la guerre, Hitler recueille un chien errant. Lorsque les autres soldats se moquent de lui et de son animal, il bat le chien et le tue.

Coupé : Dans les tranchées, Hitler reproche à son supérieur, un lieutenant juif, de ne pas lui avoir fait décerner la croix de fer, et ajoute : "J’ai pourtant toujours soutenu votre peuple."

Coupé : À l’hôpital où il a été soigné après avoir été victime des gaz, Hitler devient fou furieux en apprenant la reddition de l’Allemagne.


Hitler, toutes les coupes


Le jour où, en uniforme, il arrive à Munich, Hitler assiste à un affrontement entre des militants communistes et les miliciens d’Ernst Röhm (dont il se rapprochera par la suite). Röhm tire sur un des militants puis, froidement, l’achève. Le plan où Röhm achève l’homme tombé à terre a été coupé.

Coupé : Un militaire qui a chargé Hitler de moucharder les groupuscules activistes est effaré devant les opinions racistes que son mouchard a écrites dans un de ses dossiers ; il lui déclare que se débarrasser des Juifs est impossible. Dans la version TF1, Hitler réplique : "C’est parfaitement faisable". Dans la VO, il poursuit : "On peut les exiler, les déporter si nécessaire. Imaginez-vous un monde sans eux ? Comme il serait pur, et saint ! Pensez-vous qu’il y a des Juifs au Valhalla ?"

Coupée : Une suite de scènes, situées dans les brasseries où Hitler commence sa carrière d’orateur, le montre devant des salles de plus en plus pleines. Au cours de l’une d’elles, Hitler commente clairement le traité de Versailles ; cette scène a disparu purement et simplement de la version TF1. Or, tous les historiens s’accordent à dire qu’Hitler s’est nourri, pour séduire les Allemands, de la frustration et de l’humiliation qui leur avaient été infligées par ce traité. Un élément historique important pour la compréhension de l’hitlérisme a donc été purement et simplement... éliminé par les censeurs de TF1.

Lors d’un de ses premiers meetings, Hitler lance : "- Qui, à eux seuls, sont les responsables de la décadence nationale qui ronge notre société ?" Dans l’assistance, un homme se lève et crie : "Les Juifs !" Dans la version originale, Hitler s’enflamme : "Oui, les Juifs ! qui ont toujours été des intrus et des indésirables, et qui sont partout. Ils envahissent notre gouvernement, nous volent notre épargne, violent nos familles et notre héritage !" Cette profession de foi a été excisée de la version TF1, dans laquelle Hitler enchaîne : "Je vous le dis, c’est une guerre, une guerre qui changera bientôt de cours car les envahisseurs deviendront des victimes !"


Hitler, toutes les coupes


Coupée, intégralement : une scène impressionnante et longue de 3 minutes montrant, pendant un autre meeting d’Hitler, les futurs SA tabassant à coups de matraque les militants communistes venus le conspuer.

Coupée : une scène montrant Helena et Ernst Hanfstaengl, couple de riches Allemands qui soutiendront Hitler, dans un cabaret tenu par un de leurs amis juif, Friedrich. Le cabaret présente des revues satiriques dont le ton est résolument antimilitariste. Le patron du cabaret déclare qu’il ira écouter l’"antisémite national-socialiste" parler dans une brasserie, non parce qu’il soutient son action mais parce qu’il a besoin de matériau pour sa revue. Ernst Hanfstaengl propose de l’accompagner. La scène entière a disparu.

Qui plus est, la scène suivante, qui se déroule dans la brasserie en question a été remontée par TF1 au point d’être totalement dénaturée

 D’une part, la tirade d’Hitler a été tronquée : (la partie excisée est en gras) "Avec Lohengrin comme héros et la musique de Wagner pour nous inspirer, nous pendrons les profiteurs, nous briserons les Communistes, nous désinfecterons notre pays de la vermine juive ! Et nous triompherons ! ! !"

 D’autre part, l’ami juif de Hanfstaengl, Friedrich, présent à ses côtés dans la VO, a été purement et simplement éliminé de la scène dans la version TF1. Quand Hanfstaengl, séduit par le discours d’Hitler, se lève pour applaudir, il se retourne et constate que son ami, révulsé par l’antisémitisme de l’orateur, a quitté la salle. Le personnage ayant été purement et simplement éliminé par les coupes de TF1, ce plan prend dans la VF un tout autre sens que dans la VO : il donne le sentiment que Hanfstaengl admire l’effet produit par Hitler sur les hommes qui l’acclament !

La scène du cabaret et celle de la brasserie visent à montrer que les Hanfstaengl ne sont pas antisémites, mais qu’ils seront séduits par le discours nationaliste d’Hitler. Dans la version TF1, toute allusion à l’ami juif des Hanfstaengl ayant disparu, les circonstances dans lesquelles Ernst entend Hitler et les motifs de son adhésion à son discours sont incompréhensibles. Or, les partisans d’Hitler l’ont soutenu pour des raisons personnelles très différentes et cette variété des motifs est indispensables pour comprendre le " succès " d’Hitler.

Dans l’une des scènes suivantes, des plans de la même tirade raciste sont repris dans la VO. L’imprécation "Les Juifs !", distinctement audible dans la version originale, a disparu de la version TF1.

De même, un peu plus tard, dans une scène située en 1921, Hitler, appuyé par Röhm, pousse Anton Drexler (co-fondateur du parti ouvrier allemand) à lui abandonner la direction du parti. Il exige que Drexler fasse de lui son successeur devant les membres assemblés. La scène, qui dure près d’une minute, montre Hitler acclamé par la foule des militants. Dans la version de TF1, elle a été raccourcie de plus de la moitié et réduite à un simple plan de coupe, alors que sa durée contribuait à renforcer le profond dégoût exprimé par Drexler (et ressenti par le spectateur) quand Hitler, après avoir traversé la salle en triomphe, monte sur l’estrade. Ainsi raccourcie, cette scène semble anodine, alors qu’elle montre, pour la première fois, Hitler dans son rôle de "Führer".


Hitler, toutes les coupes


Une coupe ultérieure, pendant une scène montrant Hitler face au journaliste politique Fritz Gerlich, est significative du travail de "révision" idéologique et narrative opéré par TF1. Hitler se plaint à Gerlich "des immigrants, des Juifs qui volent notre travail." Gerlich réplique : "Des Juifs allemands". La suite du dialogue a été expurgée de la version TF1 :
 (Gerlich) : Des Juifs allemands. Un parti qui prendrait le pouvoir garantirait certainement...
 (Hitler, hystérique, l’interrompt) : Nous parlons des Juifs ! Ce ne sont pas des citoyens ! Ils n’ont aucun droit ! Vous qui vous dites nationaliste, vous devriez le savoir ! Nous ne ferons jamais de compromis au sujet des Juifs ! Jamais !

Dans le plan suivant, en voix "off", Gerlich qualifie Hitler de fou et de psychotique, ce qui n’a plus grand sens, car la séquence illustrant cette folie à ses yeux (Hitler éructant, l’écume aux lèvres) a disparu sous les ciseaux de la première chaîne privée française.

Cette coupe vise, ni plus, ni moins, à réécrire la scène, sans gommer totalement l’antisémitisme d’Hitler mais en réduisant son intensité et sa portée. Deux autres scènes antérieures, au cours desquelles Hitler agresse verbalement les Juifs, ont été conservées ; l’une se passe pendant qu’Hitler est au front, en 14-18 ; l’autre pendant un repas qu’offrent les Hanfstaengl. Dans la première scène, un soldat juif rembarre Hitler ; dans l’autre, un invité dont le père était juif se lève scandalisé par ses paroles, puis quitte le repas avec sa femme. Remontée par TF1, la scène entre Hitler et Gerlich donne à penser que le journaliste, lui aussi, tient tête au petit moustachu ; en réalité, dans la scène intégrale, Hitler l’interrompt et, devant sa réaction violente et caractérielle, Gerlich reste sans voix.

Plus tard, lors d’un meeting au cirque Krone, le discours d’Hitler dans la VO se termine de la manière suivante :

"(...) Le moment crucial de ma vie est celui où le bandeau m’a été arraché des yeux et où j’ai pu voir mon ennemi, notre ennemi : le Juif ! Nous le connaissons, nous le connaissons ! Nous voyons bien comment sa saleté et sa cupidité ont infiltré le coeur de ce grand pays. Nous devons écraser cette vermine, libérer notre nation de cette peste !"

Les phrases en gras ont disparu de la version de TF1.

TF1 a opéré des coupes particulièrement importantes sur le long épisode du "putsch de la brasserie", au cours duquel Hitler, Röhm et les SA tentent de prendre le pouvoir à Munich. Toutes les scènes situées dans la brasserie (dans la VO, on y voit Hitler et ses partisans séquestrer le commissaire général de Bavière, Von Kahr, et l’assemblée devant laquelle celui-ci allait faire une déclaration de politique intérieure) ont été supprimées par TF1. Supprimé, également, le processus narratif qui mettait trois actions en parallèle : la marche d’Hitler et de ses hommes, le discours de Von Kahr et une saynète satirique, très brechtienne, interprétée par la troupe du cabaret que les specateurs de la VO ont vu plus tôt, mais que les spectateurs français, pour TF1, ne doivent pas voir...

Cette nouvelle coupe a pour effet qu’un événement crucial dans la carrière d’Hitler, et qui occupe dix minutes de film, est réduit de plus de moitié et se résume à deux séquences :
 une escarmouche entre les hommes de Röhm et les soldats réguliers d’une caserne,
 une scène dans laquelle Hitler, bras-dessus bras-dessous avec ses hommes, se fait tirer dessus par l’armée.

Si l’on ne se fie qu’à la version "formatée" par TF1, lorsque le pauvre Hitler se fait tirer dessus, c’est sans aucun motif intelligible... Le spectateur non averti mais troublé par ces incohérences aura beau jeu de les attribuer à l’inculture ou à la négligence des scénaristes américains... alors qu’elles sont tout simplement l’oeuvre de TF1.

A la fin du putsch de la brasserie, Hitler comprend que les choses ne tournent pas comme il l’avait prévu. Gerlich lui lance : "Où est votre conscience ?" - "La conscience ! " réplique Hitler, " Encore une invention des Juifs !"

Cette réplique, évidemment, a disparu. Pas assez intelligible au goût de TF1, sans doute.


Hitler, toutes les coupes


Deux versions d’une même histoire

A la fin de cette page, vous trouverez sous forme d’un fichier PDF la liste de toutes les coupures, omissions et "réécritures" pratiqués par TF1 (j’ai passé le week-end dessus !). Mais à l’issue de la vision de la première partie, je pouvais d’ores et déjà déclarer ceci : quand on le voit dans son intégrité artistique, le téléfilm de CBS ne peut en aucun cas porter à confusion. On peut sans doute contester la vérité historique de certains éléments de la narration mais, même si je ne suis pas historien, elle me semble très fidèle à ce que j’en ai lu dans des ouvrages de référence.

On ne peut cependant en aucun cas douter du sens que les auteurs ont donné à cette histoire, ou de leur opinion sur le personnage qu’ils mettent en scène.

Hitler est (très bien) interprété par le comédien britannique Robert Carlyle, qui le présente, sans la moindre ambiguïté, comme un paranoïaque frustré, manipulateur, veule, xénophobe et meurtrier. Les propos antisémites qu’il exprime ne peuvent en aucun cas être prises comme exprimant l’opinion personnelle des auteurs ; au contraire, elles apparaissent dans toute leur violence, avec la volonté délibérée de ne pas du tout "édulcorer" la nocivité haineuse du personnage.

De plus, cette première partie du téléfilm ne sacrifie pas du tout à l’ "hollywoodisme" car les personnages secondaires ne sont pas idéalisés. Ainsi, l’épouse du financier et compagnon d’Hitler Ernst Hanfstaengl, Helen, est clairement désignée comme étant née aux Etats-Unis, et son époux comme y ayant fait fortune. Ce "détail", les auteurs américains du téléfilm ne l’ont pas escamoté (ce qui, quand on connaît la part que les entreprises américaines ont pris dans les succès industriels d’Hitler, n’est évidemment pas anodin). Autant dire que si l’on peut faire des reproches à Hitler, The Rise of Evil, ce n’est pas celui de la complaisance. De plus, le montage originel est très subtilement conçu, il évite les grands discours démonstratifs, et se montre pédagogique sans être simplificateur.

Les spectateurs français ne sont pas du tout traités avec le même respect ; quand on la compare à la version originale, il est évident que la version tronquée par TF1 :

 passe sous silence des éléments historiques avérés permettant de comprendre l’itinéraire du futur dictateur ;
 prend le parti, de manière assez systématique, d’éliminer les propos antisémites les plus violents du personnage ;
 gomme tout aussi systématiquement les scènes où la personnalité pathologique d’Hitler apparaît dans toute son intensité ;

Dans la version "revisée et corrigée" par TF1, Hitler est un individu qui ne perd jamais son sang-froid, et son antisémitisme est plusieurs tons en dessous de ce que montrent les documents d’archives couramment diffusés sur Arte ou Planète.

Devinette : comment nomme-t-on des manoeuvres visant à travestir ou à modifier une réalité historique connue ?

Du révisionnisme.


Des coupes encore plus nombreuses dans la seconde partie

Le relevé des coupes de la seconde partie est un marathon, je ne vais donc pas vous l’infliger. TOute personne qui désire la connaître en détail peut la télécharger en cliquant sur l’icône placée en fin d’article.

Voici cependant les plus impressionnantes, car les plus signifiantes et les plus graves. Elles se situent à la fin du téléfilm, et on en perçoit sans peine l’importance symbolique.

Coupées entièrement :
 une scène où, juste après l’incendie du Reichstag, Hindenburg décide de donner les pleins pouvoirs à Hitler, lequel prononce des paroles qui font froid dans le dos tant elles sont actuelles :

These are troubled times, Sir. The constitution couldn’t anticipate them. A national monument has been destroyed. Our democracy is under attack. If we are to wage wars in these foreign infiltrators, certain civil rights must be suspended.

Nous vivons une époque troublée, Monsieur. La constitution ne pouvait pas la prévoir. Un monument national a été détruit. C’est notre démocratie qu’on attaque. Si nous voulons faire la guerre à ces étrangers infiltrés, certains droits civiques doivent être suspendus.

Cette déclaration est évidemment lourde de sens, elle a d’ailleurs fait beaucoup d’encre : les critiques républicains y ont vu une attaque très claire, car elle reproduit très clairement la pensée politique de George W. Bush à l’égard des libertés individuelles après l’attaque du 11 septembre.

Cette tirade donne au téléfilm une dimension historique de résonance étonnamment contemporaine, mais les téléspectateurs français n’ont pas le droit de l’entendre. Sa censure est, en elle-même, aussi lourde de sens que la déclaration d’Hitler : n’avons-nous pas, nous aussi, droit à des discours de ce genre, en ce moment même, en France ?

A la fin de la scène, Hindenburg dit à Hitler que pour obtenir les pleins pouvoirs, il doit en obtenir le vote au Reichstag. La scène suivante (coupée également) se passe dans un théâtre utilisé comme lieu de réunion provisoire. Devant l’assemblée, Hitler déclare :

In order for the government to carry out the necessary procedures against terrorism, Reichstag must support an enabling act. This act is your opportunity to hand power to those who can wield them most effectively. From now on, all legislation will be handled by the Administration which will have sole rights to make constitutional changes. Freedoms of speech, association and the press are temporarily suspended. Privacy rights in relation to telephone and postal communication are revoked.

Traduction : Afin que le gouvernement mette en oeuvre toutes les procédures nécessaires contre le terrorisme, le Reichstag doit lui voter son soutien. Ce soutien est l’occasion pour vous de donner le pouvoir à ceux qui peuvent l’exercer le plus efficacement. Dorénavant, toutes les procédures légales seront confiées à l’administration, qui aura seule le droit de modifier la constitution. Les libertés d’expression, d’association et de la presse sont temporairement suspendues. Le droit à la vie privée relatif aux communications téléphoniques et postales est révoqué.

Pendant une partie du discours, Hitler a été applaudi. A la fin, la moitié du Reichstag (celle qui n’est pas en chemise brune) se met à protester...

A l’heure où le parlement français doit voter une loi supprimant le caractère privé des échanges par courrier électronique et instaurant le flicage des sites internet par les fournisseurs d’accès, ce discours d’Hitler était éminemment d’actualité, même en France. Heureusement, TF1 veille ! ! ! !

La coupe qui achève d’éradiquer la présence des Juifs dans le téléfilm :

Après l’arrestation de Röhm, au cours d’une séquence présente dans la version de TF1, on entend simplement la voix de Gerlich qui, de prison, écrit à sa femme pour l’encourager à vivre. Puis on voit à l’écran Gerlich et ses compagnons arriver à Dachau. Dans le premier des plans qui suivent (l’élimination systématique des adversaires d’Hitler) les SS saccagent le cabaret et entourent la chanteuse et Friedrich, le satiriste juif ce plan de la VO, a été coupé par les censeurs de TF1.

Or, Friedrich, son cabaret et sa chanteuse incarnent la seule présence récurrente de personnages juifs, et surtout la participation des juifs à la vie culturelle de l’Allemagne, pendant tout le téléfilm. Ce personnage symbolique, TF1 l’a, purement et simplement, éradiqué de la VF. Le symbole de cette élimination est très, très lourd, et je ne vois pas comment TF1 peut le justifier.

Cette suppression de presque toute mention de la haine des nazis envers les Juifs est d’autant plus incompréhensible que le film se termine par plusieurs cartons énumérant leurs victimes. Ces cartons sont évidemment conservés à la fin de la VF, comme à la fin de la VO. Ils mentionnent les victimes juives, les homosexuels, les gitans, les témoins de Jéhovah, les dissidents politiques, les handicapés. Ils sont affichés sur des clichés d’époque tirés d’archives photographiques authentiques. Mais, comme ils font partie intégrante du film et en constituent la conclusion, ils étaient, évidemment, impossibles à couper...


Un débat truqué

Dans quel but, pour servir quels intérêts, cette version expurgée a-t-elle été choisie par TF1 ? Il n’est pas supportable que dans un pays qui se dit démocratique, une chaîne censure impunément une oeuvre de fiction que les spectateurs d’autres pays ont pu voir dans son intégralité. Il est inacceptable qu’une période historique qui a fait l’objet d’autant de travaux et de commentaires soit réécrite par les dirigeants de cette chaîne ! ! ! !

TF1 a-t-elle peur que ce téléfilm "choque" son public ? Alors, il ne fallait pas l’acheter. Le public est-il si immature aux yeux des dirigeants de la chaîne ? Redoute-t-elle de le "troubler" même en lui livrant une version expurgée ? On serait tenté de le croire car, de manière tout à fait inhabituelle, la diffusion sera suivie par un débat.

Animé par l’inévitable PPDA, ce "débat" devrait réunir Bernard Volker (ex-correspondant de TF1 en Allemagne), August von Kageneck, ex-officier de l’armée allemande et journaliste, Paul-Marie de la Gorce, auteur de La prise du pouvoir par Hitler : 1928-1933 et Marion von Haaren, correspondante d’ARD à Paris.

Outre qu’on s’interroge sur le choix de ces quatre intervenants (Quelle est leur légitimité en la matière ? De quoi vont-ils bien pouvoir parler ? Quelles thèses vont-ils donc défendre ?) on se croirait revenu au bon vieux temps des Dossiers de l’écran, à l’époque où il était de bon ton d’expliquer au public ce qu’il venait de voir, de lui indiquer ce qu’il fallait comprendre, de lui suggérer ce qu’il fallait en penser !

Mais qui, mercredi soir, expliquera au public de TF1 que la première chaîne privée française prend ses spectateurs pour des imbéciles, incapables de comprendre ce que les spectateurs du monde entier sont capables de voir et d’entendre (le téléfilm a été diffusé dans plusieurs pays et le DVD est disponible partout...) ?

Et qui, mercredi soir, lorsque l’un ou l’autre des invités balaiera de son mépris les lacunes historiques du téléfilm, indiquera au spectateur que le moindre commentaire à ce sujet est impossible, puisque TF1, en le dénaturant, a irrémédiablement pipé les dés ?


Dernière minute (Lundi 26, 19.30) : J’ai appris une journaliste de "La Croix", qui publie demain un article sur le téléfilm, que les invités du débat ignoraient que le film avait été coupé...

La duplicité de TF1 n’est d’ailleurs plus à démontrer. Interrogé par TV Mag sur les coupures du téléfilm, Laurent Storch, responsable des acquisitions de la chaîne, lui a fait des réponses plutôt... discutables.
Lire les "explications" de Laurent Storch, de TF1


Cette censure n’est pas seulement une trahison envers les auteurs (dans un pays où on invoque sans cesse le droit moral de l’auteur, ce droit moral n’existe pas à la télévision !!!) , c’est une insulte à l’intelligence des spectateurs français, c’est une insulte à la mémoire de toutes les victimes de la folie hitlérienne.

Conclusion :

Hitler, the Rise of Evil est, dans sa version intégrale, un téléfilm très puissant, très bien écrit et tourné, qui raconte de manière extrêmement claire l’ascension de Hitler, en sacrifiant très peu aux conventions habituelles du genre. Amputé par TF1, il perd une grande partie de sa puissance narrative et, surtout, il tronque, déforme, dénature et pervertit le propos des auteurs. La diffusion de cette version tronquée est une manipulation et une escroquerie intellectuelle, historique, politique et morale.


Martin Winckler (martinwinckler@free.fr), lundi 26 janvier 2004.

Hitler, toutes les coupes

Le DVD du téléfilm (contenant en principe la version intégrale) devait sortir en mars prochain. Alors que le pressage des disques est déjà fait et les jaquettes prêtes (de nombreux journalistes les ont déjà reçues), TF1 Vidéo vient d’en repousser la sortie sine die. Que faut-il en penser ? Ecrivez à TF1 pour exiger de faire publier ce téléfilm dans son intégralité.

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