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"Les Trois Médecins" : un roman d’aventures et de formation (médicale)

Le blogue de Martin Winckler (Dr Marc Zaffran) - PasseportSanté.net

pla.ce.bo

Pour ceux qui s’intéressent au sujet, voici un excellent site consacré au placebo.


Le médecin et le patient nouveau - Entretien avec MZ pour Passeportsanté.net

Entretien donné à Passeportsanté.net (site québecois de santé) en 2008 autour des relations soignant-soigné.


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Feuilleton
Médecins et manipulations morales (suite)
Les Médecins maltraitants, 7e épisode
Article du 4 septembre 2011

Résumé des épisodes précédents
Un médecin est une personne comme une autre mais certains médecins ont systématiquement une attitude maltraitante (volontairement ou non)

Tous les médecins ne sont pas maltraitants, loin de là. Mais ces médecins là trahissent l’idéal qu’ils sont censés incarner, ils font du mal non seulement aux patients, mais aux soignants authentiques, nombreux mais silencieux, qui font leur travail de leur mieux. Ils compromettent la bonne délivrance des soins par les professionnels respectables et dévoués.

Il est donc important de les identifier, afin que les patients sachent que leur comportement n’a rien de "naturel", ni même de "normal" dans le cadre professionnel. Dans tous les pays développés (et dans beaucoup de pays en développement) les médecins sont assujettis à des codes de conduite : lois et réglementations, codes de déontologie, repères éthiques.

Les médecins maltraitants ne respectent pas tout ou partie de ces codes.

En dehors des situations de stress, le fait qu’un médecin se comporte de manière désagréable, brutale, autoritaire, intrusive ou insultante n’est pas acceptable. Les gestes et attitudes maltraitants pratiqués systématiquement ne doivent pas être tolérés. Un même médecin peut cumuler plusieurs types d’attitude maltraitante. Si vous connaissez d’autres archétypes de médecins maltraitants, vos témoignages sont les bienvenus.
Lire les épisodes précédents :

 1. La maltraitance est un abus de pouvoir
 2. Médecin phobique, médecin en burn-out
 3. Médecin distant, médecin égocentrique
 4. Médecin terroriste
 5. Médecin méprisant, médecin étouffant
 6. Médecin manipulateur, médecin pervers

Après avoir écrit le chapitre précédent, il m’a semblé que le thème de la manipulation morale exercée par les médecins n’était pas épuisé, et cela s’est traduit par l’article qui suit.

(Je rappelle que le pronom « il » utilisé ici pour désigner le médecin ou le patient n’a pas de connotation de genre, mais doit être considéré comme désignant indifféremment des personnes des deux genres.)

A priori aucun médecin ne se présente comme malfaisant. Tout médecin laissera entendre qu’il connaît son travail, qu’il œuvre pour le bien du patient, que ses choix sont exclusivement dictés par la science et que son sens moral et son respect de la déontologie sont les garants de son impartialité.

Cette description idyllique est cependant bien éloignée de la réalité.

La manipulation fait partie des relations humaines, à tous les moments de la vie. Nous avons tous tenté ou effectivement manipulé, un jour ou l’autre, un proche ou une personne extérieure pour obtenir une faveur ou infléchir une décision. La manipulation affective s’apprend très tôt, dès l’enfance. Elle est plus ou moins efficace selon la manière dont les parents la repèrent ou la pratiquent eux-mêmes ; bien entendu, elle s’exerce dans les deux sens (de parent à enfant aussi bien que l’inverse). Tout être humain est un manipulateur, pour assurer sa survie et bénéficier de privilèges. Les médecins n’échappent pas à cette règle.

Mais le statut de médecin est en lui-même un puissant levier de manipulation potentielle, pour plusieurs raisons. En particulier :

 Le médecin est respecté (et parfois craint), et le respect et la crainte incitent à la soumission.

 Le médecin connaît des faits que le patient ne connaît pas et peut, selon qu’il livre l’information au patient ou qu’il la retient, amener celui-ci à prendre une décision plutôt qu’une autre - ou, tout simplement, le maintenir dans la dépendance.

 Le médecin est détenteur d’un savoir-faire dont le patient a besoin. Le patient peut être amené à penser (seul ou sous la pression du médecin) que bénéficier de ce savoir-faire sous-entend de se plier aux exigences du médecin, ou à ses choix.

Aucun patient ne va spontanément accepter de souffrir ou de satisfaire les exigences d’un médecin s’il ne pense pas en tirer un bénéfice. La manipulation, ici, consiste pour le médecin à faire croire au patient que le « bénéfice » escompté en est réellement un, alors qu’il n’en est rien.

Enfin, les médecins bénéficient d’une confusion assez fâcheuse dans l’esprit de tout le monde (y compris le leur). Alors qu’ils sont formés par la société pour servir les citoyens, ils sont réputés - comme gage de leur « indépendance » - pouvoir mener la carrière qu’ils veulent, comme ils l’entendent, sans aucune contrainte. La possibilité qu’on un certain nombre de médecins du service public, en France, de disposer simultanément de consultations « publiques » (dont les délais sont longs, auxquelles assistent les étudiants et dont le tarif, fixe, est pris en charge par les assurances sociales) et de consultations « privées » (où l’on a affaire qu’au praticien, dont les délais sont plus courts et dont les honoraires, élevés, sont à la charge du patient) est, à la fois source de conflit d’intérêts et tout à fait contraire aux principes d’équité dans la délivrance des soins. En quoi est-ce que cela préserve « l’indépendance » des praticiens (face aux pressions diverses) ? J’aimerais qu’on me l’explique. Il me semble au contraire que cela leur confère la possibilité d’exercer impunément un arbitraire insupportable, dont ne bénéficient en France - en tout cas, pas officiellement - ni les enseignants (qui n’ont pas le droit d’être à la fois salarié de l’Education Nationale et enseignant pour une institution privée et être payé par les deux) ; ni les magistrats (qui n’ont pas le droit d’être à la fois procureur et conseiller juridique d’une entreprise) ; ni les policiers. Un fonctionnaire de l’Etat ne peut pas être en même temps salarié d’une entreprise privée.

Les médecins constituent, si je ne m’abuse, la seule exception. Comment se fait-il qu’ils bénéficient de ce privilège exorbitant... sinon parce que leur statut (et l’influence ou les pouvoirs qu’on leur prête) leur confère un respect, une estime, une confiance qui permet d’enfreindre une règle de simple bon sens.

Les privilèges et l’impunité sont des conditions qui favorisent les comportements arbitraires. Et qui permettent aux médecins d’exercer leur arbitraire sans contrainte apparente, puisque la confiance du public leur est acquise, et qu’elle est validée par les pouvoirs publics...

Je postule (et ce, intuitivement, car je n’ai pas de « preuve », et je reconnais qu’il faudrait étayer ce postulat avec des arguments scientifiques, fondés sur la psychologie, la sociologie, l’anthropologie et d’autres sciences humaines) que la relation de soin est incompatible avec l’exercice d’un pouvoir (de la part du médecin ou de la part du patient), et que le pouvoir est contraire à la nature même du soin. Cela étant dit, nombreux sont les médecins qui ont « embrassé » la profession parce que le pouvoir les intéresse au moins autant que le soin.
Et, en général, ils le manifestent par leur frénésie à gravir l’échelle de la hiérarchie professionnelle.

Le médecin et son statut

Le profit qu’ils recherchent n’est pas nécessairement la domination des patients, mais l’amélioration de leur statut. Le problème étant ici que, dans un certain nombre de cas, les patients leur servent de marchepied, ce qui n’est pas seulement contraire à la morale, mais à l’éthique même du soin.

Dans l’esprit de tout un chacun, le « bon » médecin se reconnaît à sa compétence - laquelle se mesure au nombre et bien sûr à la « qualité » - au sens bourgeois du terme - des patients qu’il reçoit. Ainsi, le médecin que consultent les ministres ou les vedettes est forcément un grand scientifique, tandis que celui qui s’occupe exclusivement des pauvres et des défavorisés ne l’est pas : ses compétences médicales, pour des raisons qui restent à analyser, semblent s’effacer en regard de son abnégation. C’est injuste et étriqué, mais c’est ainsi. Quoi qu’il en soit, la plupart des médecins cherchent à toucher et à accroître une clientèle solvable susceptible d’augmenter leurs revenus plutôt qu’à étendre leurs soins aux plus démunis. C’est compréhensible, et l’encombrement de la salle d’attente n’est évidemment pas seulement un signe de renommée lorsque le médecin exerce seul et loin d’autres praticiens, comme c’est le cas aujourd’hui dans les campagnes françaises désertées par les professionnels de santé. Mais dans de nombreux cas, pour améliorer leur statut personnel, certains médecins bénéficient de (ou recourent ouvertement à) la mise en spectacle.

On ne compte pas les médecins qui accèdent à une certaine célébrité via un ou plusieurs livres. Le plus souvent, il s’agit d’un essai, ou de mémoires. En France, les années 70 et 80 ont été riches en mémoires de médecins (je pense à Léon Schwartzenberg, à Alexandre Minkovsky, à Frédérick Leboyer, à Jean-Paul Escande, dont vous trouverez les bios sur Wikipédia ; je pense aussi à Jean-Christophe Rufin, qui me semble incarner le même type de figure médicale médiatique que les quatre autres, au 21e siècle) exprimant leur vision du monde, et donnant en exemple des histoires vraies de patients. Parfois, le livre est un roman, et le succès n’est pas moins fulgurant, je suis bien placé pour le savoir. Et, même pour un roman, il est difficile de savoir si le succès public est lié à l’écriture (aux qualités littéraires du livre) ou à son contenu apparent : la relation de soin.

Les conséquences du succès public sur le statut du médecin dépendent alors essentiellement de sa situation antérieure. S’il est spécialiste, hospitalier, parisien, ancien résistant ou co-fondateur d’une ONG renommée, il peut être convié à endosser (parfois brièvement) des fonctions élevées - telles que ministre ou ambassadeur. C’est moins probable s’il s’agit d’un généraliste de province militant pour des pratiques « alternatives » (Jean Carpentier), d’un médecin-écrivain installé en banlieue (Christian Lehmann) ou d’un médecin-essayiste vivant dans une ville de province (Luc Périno). Profession médicale et succès de librairie ne sont pas les seuls déterminants de haut statut social et de passages médiatiques... ni même les plus importants.

Il n’empêche qu’une question reste en suspens : qu’il s’agisse d’un essai, d’un récit ou d’un roman, on est en droit de s’interroger sur l’utilisation par ces praticiens dans leur livre d’anecdotes (réelles ou retravaillées) mettant en scène des médecins qui sont ou pourraient être eux et des patients qui les ont peut être vraiment consultés. S’agit-il de témoigner, ou de se mettre en valeur ? Et quelle est la part d’utilisation de ces histoires pour manipuler le regard public - y compris celui des lecteurs qui feront, par la suite, appel au médecin-écrivain en tant que patients ?

Qu’on ne s’y trompe pas : je ne crois pas qu’il faut interdire aux médecins d’écrire, ou de s’appuyer sur leur expérience quand ils écrivent un livre. De quoi parleraient-ils sinon de ce qu’ils connaissent le mieux ? Je dis simplement que ces questions se posent. Je me la pose depuis mon premier roman, La Vacation, qui puisait profondément dans mon expérience de médecin pratiquant des avortements. N’y avait-il pas une certaine indécence à tirer profit de la souffrance à laquelle j’avais assisté et dont je prétendais rendre compte ? Et j’imagine que tout médecin-écrivain doté de scrupules se la pose également.

Il me semble que la question se pose avec d’autant plus d’acuité que les médias - et en particulier la télévision - sont friands d’ « histoires vécues », très croustillantes si possible, et que nombre de médecins ont construit leur image médiatique en participant à des émissions en tant qu’ « experts » chargés de commenter des récits de maladies, d’addictions ou d’expériences difficiles, voire en "indiquant" aux émissions des patients à contacter (ce qui, à mon humble avis, est inacceptable : un médecin n’a pas à servir de "rabatteur" de patients pour les médias).

Là encore, il est difficile de porter un jugement général sur toutes les émissions de ce genre. Les médecins ont l’obligation éthique de partager ce qu’ils savent et de l’expliquer de manière intelligible. Il n’est pas question de leur reprocher de le faire via les mass-médias. Il est seulement question de s’interroger sur les conditions dans lesquelles ils le font, à quel titre et pour quel bénéfice personnel immédiat ou retardé. Tout spécialiste d’une maladie « médiatique » - surtout si elle est très grave - attire, juste après un passage à la télévision, une rafale de coups de téléphone, de courriels et de lettres venus de patients potentiels. C’est inévitable. C’est compréhensible. Quand il s’agit d’un chirurgien esthétique, d’un spécialiste de l’amaigrissement ou d’un neurologue associé de très près aux phases de précommercialisation d’un médicament destiné aux patients souffrant de maladie d’Alzheimer, c’est quand même très problématique.


Un autre exemple, très courant, est celui du médecin qui se présente à un poste d’élu. De nombreux médecins deviennent élus municipaux ou députés. Leur fonction de médecin - surtout dans les petites villes, bien sûr, où une grande partie de leur population peut faire partie de leur patientèle - influe inévitablement sur la décision de vote : tous les votants ne connaissent pas personnellement les candidats ; ils choisissent leur candidat sur des arguments indirects - réputation, déclarations, actes passés, etc. Un cancérologue renommé, auteur de best-sellers et réputé avoir toujours pris la défense des patients qu’il soigne a plus de chances de devenir un représentant du peuple, même s’il est un novice à cette fonction, qu’un autre candidat sans expérience politique.

Il me semble donc qu’il est irrémédiablement contraire à l’éthique pour un médecin praticien de se présenter à une fonction électorale. D’abord parce que son aura de professionnel brouille les cartes : les patients verront d’abord qu’il est médecin, infèreront qu’il se présente « pour le bien des citoyens » et hésiteront (du moins, la première fois) à penser qu’il le fait peut-être par ambition personnelle. Ensuite parce qu’un médecin ne peut pas, sans conflit d’intérêts et ou sans dilemme, se trouver à la fois du côté des citoyens qu’il soigne et du côté de ceux qui édictent les lois, qui votent les budgets (et en particulier celui des hôpitaux...), et qui font des choix d’orientation politique (en particulier la politique de santé).


Une histoire vraie :
l’un des membres du conseil municipal d’une minuscule commune va voir l’unique médecin du village (dont il est le patient) et lui demande de se présenter, à ses côtés, sur l’une des listes aux prochaines élections. Le médecin refuse. L’élu demande si c’est parce que le médecin est d’une autre sensibilité politique. Le médecin répond que non, et que s’il votait dans la commune (il n’y est pas domicilié, mais comme il y travaille, il peut s’y présenter, quel paradoxe...) il voterait pour la liste de son interlocuteur. Mais il ne se présentera pas.

L’élu ne comprend pas et le médecin explique : « Si je suis élu, il y aura au conseil municipal d’autres élus qui sont habituellement mes patients. Que se passera-t-il lors d’un vote qui divisera le conseil ? Est-ce que la relation confidentielle que j’entretiens avec les patients n’entrera jamais en ligne de compte ? Qu’est-ce que cela voudra dire pour eux de m’entendre énoncer un avis différent du leur ? En quoi est-ce que la relation de soin influera sur leur opinion ? En quoi les différents influeront-ils sur la relation de soin ? Quand les patients viendront me voir pour me parler de problèmes de santé intriqués avec la politique de la commune - le financement de la maison de retraite, par exemple - qui viendront-ils voir ? Le médecin ou l’élu ? Je ne sais pas, et je n’ai pas envie d’introduire le trouble, ni dans mes convictions, ni dans les leurs, ni dans la relation de soin. Alors, je ne me présenterai pas. »

L’élu quitte le médecin, très fâché. Quelques mois plus tard, il vient lui confier un problème personnel. Après quelques consultations, l’élu dit au médecin : « Je suis heureux que vous ne vous soyiez pas présenté aux élections, Docteur. Car je n’aurais jamais pu venir vous confier mon problème le matin en sachant que le soir vous seriez assis en face de moi à la table du Conseil. J’aurais passé mon temps à me demander si vous pensiez à ce que je vous ai dit en consultation. »

Le problème du statut - et du pouvoir qu’il confère - est complexe : les gens attendent d’un médecin qu’il mette son autorité à leur service. Il est donc assez naturel qu’ils élisent des médecins (ou les sollicitent comme candidats). C’est bien pour cette raison, il me semble, que les médecins ne devraient pas être plus autorisés à se présenter à un poste d’élu que ne le sont les juges ou les policiers en exercice. Ce voeu de non-éligibilité des praticiens rencontre le plus souvent l’incrédulité. Ce qui me donne à penser que la question de l’influence des médecins n’a pas, jusqu’ici, fait l’objet d’une réflexion et d’un débat général...



De la manipulation individuelle à la manipulation collective

Il y a manipulation (consciente, calculée) chaque fois qu’un médecin s’appuie systématiquement sur les faiblesses, les sentiments ou les incertitudes du patient pour infléchir la décision de celui-ci. Comme je l’ai décrit dans l’article précédent, le levier peut être la flatterie (« Vous savez à quel point j’admire votre courage, Monsieur... »), la menace voilée (« Telle décision vous fait prendre beaucoup plus de risque que telle autre... »), la surcharge d’empathie (« Je partage votre inquiétude, et c’est pour cela que je vous recommande... ») le mensonge éhonté (« Ce nouveau médicament a montré sa supériorité ») ou le chantage (« Si vous ne faites pas ceci, je ne vous soigne plus. »)

Ces manœuvres ne sont pas réservées aux médecins. Elles sont également utilisées par les institutions. Prenons une situation très courante : la vaccination.

J’ouvre d’abord une parenthèse pour préciser que, comme beaucoup de médecins, je pense que certaines vaccinations (à commencer par la vaccine, l’immunisation « naturelle » contre la variole, que Jenner encouragea dès la fin du 18e siècle, bien avant les découvertes de Pasteur sur l’origine infectieuse de nombreuses maladies) ont transformé la vie des humains. Je ne suis pas opposé au principe de la vaccination qui, pour beaucoup de maladies, a montré son efficacité et son utilité. Mais je ne crois pas que TOUTES les vaccinations soient justifiées, ni que TOUS les vaccins soient utiles. Je pense aussi qu’au cours des vingt dernières années, on a probablement développé plus de vaccins superflus que de vaccins utiles. Bref, j’ai au sujet des vaccins la même attitude que la plupart des médecins à la fois conscients de leurs valeurs et critiques de la surenchère. Fermons la parenthèse.

Tout médecin est amené à rencontrer des patients qui refusent une vaccination (pour eux ou pour leurs enfants). Tout médecin est, également, amené à proposer une vaccination nouvelle à certains de ses patients. Cette situation est révélatrice des rapports de force entre médecins et patients et des tentatives de manipulation qui peuvent alors se produire.

Le médecin qui découvre, en consultant le carnet de santé d’un enfant, l’absence d’une ou de plusieurs vaccinations, est en droit d’exprimer son souci lorsqu’il s’agit d’une vaccination utile (le tétanos, la polio, la diphtérie - toutes maladies fréquentes, imprévisibles, invalidantes ou potentiellement mortelles malgré les traitements disponibles). Ça ne fait pas de lui un juge ou un fonctionnaire de police. Il n’a pas à faire pression sur les parents pour les faire changer d’avis. Il n’a pas non plus à se faire l’agent de l’industrie pour promouvoir des vaccins - ou d’autres traitements - sans base scientifique.

La question de la manipulation médicale de grande envergure s’est posée récemment à deux reprises au moins en matière de vaccinations. Pendant l’épidémie de grippe A/H1N1 à la fin de l’année 2009 et régulièrement, depuis 2006, au cours des campagnes d’incitation à la vaccination des filles contre certains HPV (Virus du papillome humain, désigné par le sigle VPH au Québec), incriminés dans l’apparition de cancers du col de l’utérus.

Ces deux situations illustrent de manière spectaculaire les manœuvres de manipulation exercées sur les populations par les industriels et les autorités sanitaires. Je ne vais pas revenir sur les critiques que ces vaccins méritent, il en est question ailleurs sur ce site. Ce que j’aimerais souligner c’est le type de pression morale qui a été exercé sur les personnes pour les contraindre à se faire vacciner (A/H1N1) ou à faire vacciner leurs filles (HPV).

Les méthodes étaient les mêmes dans les deux cas :
 le terrorisme : « la grippe va tuer des millions de personnes » ; « le cancer du col menace toutes les femmes »
 la culpabilisation : « Si vous ne vous vaccinez pas contre la grippe, vous risquez de la coller à vos enfants » ; « Ne pas protéger vos filles, c’est égoïste et criminel »
 les informations tronquées ou mensongères : ne pas dire que l’épidémie de A/H1V1 dans l’hémisphère sud montrait sa bénignité ; ne pas insister sur le fait que la prévention du cancer du col passe avant tout, pour toutes les femmes (vaccinées ou non) par le frottis de dépistage
 le recours systématique aux arguments émotionnels face à des critiques scientifiques (« Combien de morts vous faudra-t-il pour inciter les gens à se vacciner ? » « Comment pouvez-vous évoquer la question de l’équité de répartition des ressources face à la souffrance des femmes atteintes de cancer ? »)
 la stigmatisation des discours critiques et le refus de débattre.

Il me semble évident que si les méthodes de pression des médecins et des institutions se ressemblent, c’est parce qu’elles font appel aux mêmes mécanismes : elles appuient sur les mêmes « zones sensibles » des personnes qu’elles visent à faire agir contre leur volonté ou leur raison. C’est la définition même d’une manipulation.

Martin Winckler (Dr Marc Zaffran)

PS du 6.09.11 ; Ce matin, je lis dans le New York Times l’histoire d’une représentante américaine au Congrès, Shelley Berkley (D.). Son histoire est intéressante. Elle a fait partie d’un lobby pour qu’un centre de transplantation rénale du Nevada (qu’elle représente) ne ferme pas. On se dit que c’est louable... Jusqu’à ce qu’on se rende compte que ses efforts se sont traduits par l’enrichissement considérable de son époux, médecin impliqué dans le dit centre et directeur de plusieurs centres de dialyse rénale... L’article (que vous pouvez lire ici) souligne à quel point ces conflits d’intérêts choquent les membres de la Chambre des représentants, qui ont pourtant l’habitude du lobbying. On ne peut pas reprocher à un médecin d’inciter ses proches, quand ils font de la politique, à militer pour un meilleur accès à la santé. Mais Ici, l’influence (revendiquée) du mari médecin sur les choix politiques et les engagements de son épouse pose tout de même quelques problèmes quand ils se traduisent par des milliers de dollars de profit personnel...

Prochain épisode : Les médecins qui expérimentent sur leurs patients.

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